Chapitre 1

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Le retour chez moi fut des plus laborieux.

C'étaient les vacances scolaires, et j'étais censée les passer chez mon père, un homme que je ne voyais que peu souvent, grand bien m'en fasse. J'avais donc quitté mon cher quartier montréalais pour me rendre à l'aéroport avec une nonchalance non feinte. Ma mère avait tenté de me rassurer sur le fait que tout se déroulerait pour le mieux, que ces deux mois s'écouleraient bien vite, seulement on ne me la faisait pas.

Je connaissais parfaitement le bonhomme, et c'était bien là le problème. Individu respectable, médecin renommé dans mon pays d'origine — le Bénin —, apprécié de tous, il aurait dû susciter chez moi de la fierté et un certain sentiment de sécurité, mais non. Il ne m'inspirait qu'ennui et indifférence. Venant d'un homme qu'on ne voyait qu'une fois tous les trois ans et qui passait le plus clair de son temps à l'hôpital, rien de plus normal. Aussi, j'ignorai toutes les tentatives de ma mère et essayai de me persuader qu'au moins le vol se déroulerait bien.

J'avais tort.

J'adorais les voyages en avion. Le ciel, le bruit de l'appareil, le sentiment de liberté qui m'envahissait lorsque j'observais les nuages depuis le hublot, même les films que je regardais et les livres que j'y lisais faisaient partie de cette ambiance toute particulière que je ne ressentais pas sur la terre ferme. J'aimais cet ensemble, ces plats qu'on mangeait sur le pouce, l'appréhension de ne pas savoir qui serait mon voisin ou ma voisine, l'excitation au moment du décollage, l'exaltation à l'atterrissage, quand bien même la destination ne me plaisait guère. J'adorais tout ça. Seulement, cette fois, comme si le ciel avait souhaité appuyer le fait que mes vacances ne seraient qu'une longue course d'obstacles, mon vol fut des plus horribles.

Mes deux voisines — de derrière comme de devant — s'étaient donné le mot pour me donner envie de sauter de l'appareil. L'une ne supporta pas que mes jambes touchent son siège, et n'arrêta pas de les cogner — comme si en agissant ainsi, elles rétréciraient. Je dus m'armer de patience pour ne pas l'étrangler. Elle avait un enfant avec elle, ç'aurait été de très mauvais goût et relativement traumatisant pour ce dernier. Et je ne voulais pas être catégorisée dans ce genre. L'autre, pour ne rien arranger, occupa son temps à crier sur toutes les hôtesses qui passaient, se plaindre de tout, essayer d'engager la conversation avec moi en espérant que je serais d'accord avec tous ses principes antisociaux. Elle n'aimait rien, pas même l'eau qu'on lui servit. Elle lui trouva une odeur étrange, et je me demandai sincèrement si cette femme se supportait elle-même tant elle ne concédait rien. Et, comme j'étais assise côté hublot, ce fut très compliqué de l'ignorer ou de lui échapper. Mes allers-retours aux toilettes furent si nombreux qu'une des hôtesses de l'air finit par s'enquérir de mon état de santé. Trop énervée, je n'eus pas la patience de lui expliquer. Et lorsque je tentai de me réfugier dans un coin de l'appareil pour lire, je fus aussitôt interpellée par un steward qui me recommanda fermement de regagner ma place. Ce que je fis en traînant des pieds... juste avant de me heurter à la jambe de ma charmante voisine de derrière qui dépassait. Résultat, je m'affalai au sol et me cognai la tête, récoltant ainsi une grosse bosse sur le front et beaucoup de rires de la majorité des passagers.

Mes sept premières heures de vol s'avérèrent donc très longues. Mon escale à Paris fut un tant soit peu acceptable, si on suppose que se faire traiter comme une terroriste à la douane l'était. J'avais oublié de retirer une pince de ma chevelure et toutes les alarmes se réveillèrent d'un coup. Et j'avais beau passer et repasser, rien n'y changeait. Qui aurait songé que le coupable se cachait dans ce petit afro parfaitement innocent ? Pas moi, en tout cas. Il fallut donc plusieurs passages et une série de contrôles physiques assez musclés pour trouver ladite pince et me laisser enfin circuler. Au point où j'en étais, je ne m'en offusquai même pas. J'espérais encore que la seconde partie du vol serait supportable.

J'eus presque raison. Cette fois, pas de voisines chiantes ou humanophobes, mot que je venais tout juste d'inventer dans un accès de dépit. Je bénéficiai par contre de turbulences presque permanentes, dues à une météo défavorable. Beaucoup des passagers, apeurés par les récents crashs aériens, furent certains que leur dernière heure était arrivée. De mon côté, seuls leurs cris et prières intempestives me gênèrent. À ce stade, une catastrophe relèverait davantage du soulagement qu'autre chose.

Et, finalement, je parvins à Cotonou, la capitale économique du Bénin. À précisément 21 h 54.

Dès le hublot, je sus que j'étais au bon endroit. Pas d'erreur. Ce noir infini définissait bien le comité d'accueil habituel de l'aéroport de mon pays natal, où tous les vols de l'étranger atterrissaient presque exclusivement de nuit. La chaleur étouffante qui m'enveloppa en sortant de l'appareil, le bus blindé et empli d'odeurs qui nous conduisit au bâtiment principal depuis la piste d'atterrissage, la longue attente pour les bagages, et enfin, la rencontre avec le chauffeur qui m'emmènerait à l'hôpital de mon père — car oui, il se trouvait encore en salle d'opération —, le trajet dans une obscurité parsemée de quelques lampadaires solitaires, tout cela me rappela qu'il s'agissait bien d'un retour au bercail, d'une plongée dans l'ennui intempestif que seraient mes vacances scolaires.

Eh bien, bienvenue à moi, me dis-je en découvrant finalement la polyclinique Olouoba, le sanctuaire de mon père et mon habitat pendant les deux prochains mois.

J'y étais. Plus de retour en arrière possible.

Voyageuse, tome 1Where stories live. Discover now