L'aube nouvelle

En başından başla
                                    

Nous sommes arrivés devant la maison de Rachel. Il faudrait peut-être que je finisse par dire quelque chose ? Nous avons regardé sa maison. Peut-être pense-t-elle comme moi quand je regarde la mienne maintenant. Va-t-elle tenir debout encore longtemps ? Combien de temps cela prend-il de construire un bunker ? Bien trop, au vu du temps que nous passons à essayer de récolter assez de nourriture, assez de vêtements, assez d'eau... Emporterai-je mes cahiers d'école ? Mon doudou, ma guitare, ma figurine préférée ? Il faudrait que je décroche les quelques photos sur le mur de ma chambre : Papa et Maman, Papa, Léo et moi, Ludo et moi, Maman et Léo. Et ce paysage de montagnes que j'aime tant...

- Alors... A jeudi ?

- Oui. A jeudi Rachel.

J'esquisse un faible sourire ; nous savons tous les deux qu'il sonne faux. La reverrai-je seulement jeudi ? Elle doit être si inquiète pour Leila.


- C'est moi ! J'ai du pain. Salut Léo.

Je viens déposer un bisou sur les cheveux de mon petit frère. Il joue encore avec son camion de pompiers. Papa et Maman sont dans la cuisine. Je pose le gros pain rond au centre de la table. Ils sont en train de faire les comptes dans notre nourriture. Il nous reste encore quelques vivres. Pour combien de temps ? Nous avons écoulé ce qui se périmait en premier : viandes, yaourts, fruits. La date de péremption n'avait jamais trop été une préoccupation pour nous ; nous nous fournissions aux commerçants et agriculteurs du coin, et les produits étaient consommés quasiment au jour le jour. Avec l'annonce de cette triste nouvelle - qui ressemblait un peu trop à la fin du monde - il nous fallait revoir toute notre alimentation. Nous savions que nous devions fuir si nous voulions survivre. Mais une fuite, surtout avec un enfant de quatre ans, ça ne se prévoit pas en une journée.

Au fil des semaines nous avions pensé à mettre de côté le pain acheté au vieillard du marché, et quelques autres aliments, en prévision de notre périple : des céréales, quelques conserves, de l'eau... Alors que je m'assois sur une chaise à côté d'eux, Maman me dit :

- Nous partons demain. Nous essaierons de partir avant midi.

- D'accord.

Demain ? Merde. Ça arrive si vite. Malgré mon immense envie de fuir ce cauchemar, je ne suis absolument pas prêt à partir.

- Je porterai le sac de vêtements, ton père portera la nourriture et la tente. Tu te chargeras des deux bouteilles d'eau restantes. Emporte en plus tout ce que tu souhaites et qui ne fait pas trop de poids : tout ce qui te parait nécessaire ou même simplement ce qui t'aidera à tenir le coup. Je ne peux pas emporter tous mes bijoux mais j'emmène quand même ce collier.

Maman lance un sourire plein de tendresse à l'encontre de Papa, tout en caressant le pendentif argenté en forme de plume qu'elle porte autour du cou. Papa lui a offert quelques mois après leur rencontre. Une plume, le symbole de l'espoir hein ?

- D'accord. Léo est au courant qu'on part ?

- Nous lui dirons ce soir.

L'après-midi s'est écoulée, la soirée aussi. J'ai passé le plus clair de mon temps à regarder le plafond de ma chambre. J'ai aussi un peu joué avec Léo. Nos éclats de rire font encore écho. Il n'y a que la nuit qu'il est sujet aux cauchemars ; ses journées consistent à jouer et à vouloir être dans les bras de Papa ou Maman. Il sait que quelque chose se passe mais il ne comprend pas tout. Nous ne souhaitons pas insister non plus. Maman lui a dit pendant le repas que nous allions quitter la maison demain. Il n'a pas sauté de joie, il n'a pas ronchonné, il s'est contenté de dire « Je peux amener Cacahuète ? » et comme Papa lui a répondu par l'affirmative, il a sourit et la conversation était finie. Cacahuète c'est son doudou : un tout petit hippopotame bleu ciel. Il ne prendra pas de place au moins.

Je me suis décidé à décrocher mes photos du mur. Je les ai rangées dans une enveloppe et mises dans un petit sac à dos. J'ai aussi pris une casquette, un couteau suisse et un sachet des bonbons préférés de Léo. Maintenant la nuit est tombée et je ne sais pas si je vais réussir à dormir. Il le faudrait pourtant : demain un long voyage nous attend.

J'ai fini par m'endormir car je suis réveillé en sursaut par des bruits assourdissants d'explosions. Des cris, des pleurs, des appels à l'aide. Un vrai chaos à l'extérieur. Je me lève et me précipite à la fenêtre pour y découvrir un paysage d'horreur : les bombes sont en train de ravager notre village. C'est la panique dehors. Et dedans aussi. Je cours vers la chambre de Léo : personne. J'entends Maman depuis la cuisine qui crie mon prénom. J'accours. Léo est dans ses bras, Papa est en train de boucler les derniers bagages. Léo pleure. Ce bruit, tout ce bruit autour ; il doit être effrayé.

- Va prendre tes affaires dans ta chambre, nous partons dès maintenant !

Je leur tourne le dos et cours en direction de ma chambre. J'ai à peine passé ma porte qu'une puissante déflagration retentit. Je ferme les yeux par réflexe. Je perds l'équilibre, tombe à terre. Je ne vois plus rien, n'entend plus rien à part un incessant bourdonnement dans mes oreilles. Je peine à ouvrir les yeux. Je ne vois que de la poussière partout, mes poumons sont feu, je n'arrête pas de tousser faute de pouvoir respirer. Je hurle : « Papa ! Maman ! Léo ! ». Je ne m'entends pas, je ne sais même pas si les mots sont véritablement sortis de ma bouche. Et cette poussière qui n'en finit plus de voler !

Je finis par perdre connaissance.

Voilà maintenant une journée entière que je marche. L'aube me fait face. Au loin, j'aperçois les montagnes ; ce paysage sur mon mur que j'appréciai tant regarder.

Après m'être réveillé dans ma chambre, ou du moins ce qu'il en restait, je m'étais difficilement relevé et avais constaté les dégâts : une bombe avait explosé dans notre jardin. La maison avait volé en éclats. Ma chambre, avec celle de Léo, étaient l'une des pièces les plus éloignées du jardin ; la cuisine, l'une des plus près. J'ai titubé tant bien que mal au milieu de tout cet amas de bois et de verre brisé, jusqu'à l'endroit où s'était trouvé encore quelques heures plus tôt notre cuisine. J'étais le seul survivant.

Je n'ai emporté que la miche de pain que j'avais acheté avec Rachel. C'était un des rares aliments encore intact, seulement recouvert de poussière. Je l'ai mise dans une serviette que j'ai trouvé dans ma chambre et m'en suit fait un baluchon.

Sur mon dos : ma guitare. Je n'ai pas pu m'empêcher de la prendre. Je me souviens des paroles de Maman, résonnant comme un conseil : « Emporte ce qui t'aidera à tenir le coup ». J'enfonce ma main au fond de ma poche. Mes doigts viennent se refermer sur le collier en forme de plume, que j'ai peiné à détacher du cou de Maman, le reste de son corps étant écrasé sous les débris. Des larmes coulent sur mes joues. Je ne peux pas me permettre d'arrêter de marcher ; pas tant que ces bruits d'explosions résonneront dans ma tête. Alors j'avance, droit devant, avec ce soleil qui me brûle les yeux et ses larmes qui me brouillent la vue. Et je me répète que ce qui m'attend ne pourra pas être pire.

L'aube nouvelleHikayelerin yaşadığı yer. Şimdi keşfedin