Chapitre 1 : La tour de défense

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Au centre, la tour, opulente, au toit de tuiles plates, percée de meurtrières, est flanquée de chaque côté de bâtiments aux fenêtres arrondies.

A droite, au-dessus de deux arcades partiellement murées dont les ouvertures sont munies de barreaux, une rambarde entoure une cour où donne le musée.

A gauche, quatre fenêtres sur deux étages, lorgnent sur le Tarn et le pont suspendu.

Au rez de chaussée on devine un escalier qui aboutit sur une porte murée.

Là aussi, deux arches comblées, juste deux fenêtres étroites munies de barreaux en trouent l'espace.

La couleur de la brique rose domine l'ensemble.

Assise sur un des bancs des emplacements de pique-nique, disposés çà et là sur la berge herbeuse, je laisse courir mon imagination.

J'imagine la vie à l'époque ou la tour était gardienne de la ville.

Comme aujourd'hui, c'est la fin de l'été.

Les rues sont sales, nauséabondes, grouillantes de guenilles ternes et de sabots bruyants, traversées parfois par les taches de couleurs soyeuses des habits des nantis fiers sur leurs montures.

Des barques accostent au ponton du petit chenal creusé au pied du bâtiment que longe le Tarn, et déversent sur les pierres glissantes moult voyageurs, commerçants et marchandises.

Des gardes en uniformes, hallebarde à la main, surveillent tout ce petit monde ou se glissent parfois quelques voleurs habiles.

Là, au pied de la tour, un attroupement hilare se réjouit des facéties d'un petit singe agrippé aux cheveux de son maître unijambiste.

Celui-ci, flûtiau à la bouche, les mains noueuses posées sur l'instrument et en équilibre telle une grue, frappe de sa jambe de bois un tambour fixé sur un trépied grossier et manque tomber à chaque fois que l'animal se jette sur sa prothèse et s'y balance, accroché par un bras fauve et velu.

Plus loin, sur une charrette à bras, sont présentés dans des paniers d'osier, des fruits mûrs et parfumés, des légumes dont les nuances de vert luisants, font ressortir le rouge des tomates, l'orange des carottes, le blanc des navets d'une telle agréable façon que l'eau en vient à la bouche.

Fichu seyant sur une masse brune et bouclée, un sourire à ses lèvres bien ourlées, une accorte paysanne harangue les badauds leur vantant la qualité de ses produits.

Et, sa fraîcheur intéresse plus d'un coquin, ils aimeraient la croquer, elle et ses seins blancs et lourds.

Un magicien, mystérieux dans son vêtement bleu nuit brodé d'or, est assis sous un auvent de toile bise.

Devant lui, sur une petite table de bois brut, une multitude d'objets étranges, de fioles, d'herbes sèches dégoulinent jusqu'au sol, lui faisant comme un rempart.

Ses petits yeux luisants vous happent et ne vous lâchent plus.

Insistant, tant et tant que, captif, vous n'avez d'autre choix que celui d'approcher.

Malin, il sait choisir ses proies. Ceux dont la bourse dodue pend à la ceinture.

Mon imagination me joue des tours !

Ses yeux me fixent. Là, je les vois mieux et je frissonne. Des pupilles verticales, telles celles d'un reptile, parcourues d'éclairs jaune se vrillent aux miennes.

Sensations bizarres, flottements. Je suis prise d'un vertige et puis... le noir.

D'abord des odeurs : rances, aigrelette de fruits pourris, fumier, sueur, me font plisser le nez.

Je perçois des bruits lointains, étouffés.

Mes yeux s'entrouvrent et au fur et à mesure, je perçois une lueur qui se mue en images animées.

Stupéfaite, je me trouve face au magicien. Autour de moi, les personnages sortis de mon imaginaire sont là, immobiles, surpris aussi.

« - Il ne faut pas provoquer le sort ! »

Cette voix dans ma tête...

La bouche du magicien s'étire dans un sourire qui dévoile des dents noirâtres.

« - Comment ! Comment ! Ce n'est pas possible ! »

Mon cœur s'affole dans ma poitrine, je suis en nage.

Je me tourne vers les visages fermés, méfiants qui m'entourent...

« - Où suis-je ? Ai-je le temps de dire avant de m'écrouler.

Le soleil pique la peau nue de mes bras, j'ouvre les yeux.

Hébétée, je regarde autour de moi.

La tour est là. Des voitures circulent sur le pont, et le Tarn, immuablement, mène ses eaux vers la Garonne pour rejoindre l'océan.

Le magicien, la foule hostile, tout a disparu.

Je suis à mon époque, en septembre 2013.

Étrange !

Ma mauvaise nuit et le manque de sommeil sont sans doute la raison de mon bref « voyage dans le temps » ...

Soulagée, oui. Mais, avec une petite pointe de regret tout de même.

Que ce serait- il passé ensuite dans ma rêverie vagabonde ?...

Une drôle d'histoireWhere stories live. Discover now