Chapitre 13 - Cohabitation et confidences

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Des policiers viennent pour me tenir informer de l'évolution de l'enquête mais le seul élément qu'ils possèdent est la description de l'homme qui m'a accosté. Ils ont lancé un avis de recherche infructueux jusqu'ici. Malheureusement, aucun autre souvenir ne me revient qui pourrait relancer l'enquête.

Je savoure de plus en plus les soirées avec Thomas : préparer le repas, manger et discuter ensemble sont des moments agréables. J'apprends ainsi qu'il est fils unique, ses parents sont assez âgés car ils ont eu du mal à avoir un enfant. Alors quand il est arrivé, ils l'ont vécu comme une bénédiction. Tous deux enseignants, ils sont aujourd'hui à la retraite dans un petit bourg paisible loin du tumulte du monde.

Je réalise que ça me manquera cruellement de ne plus partager ces instants avec lui quand je retournerai vivre chez moi.

Un soir, à table, je le questionne sans réfléchir :

- Je suis curieux, comment se fait-il qu'un homme comme toi, beau, intelligent, ayant sa propre entreprise et cuisinant comme un chef ne soit pas encore marié et est même toujours célibataire ?

Merde, qu'est-ce qui me prends de lui poser une question pareille. Mais contre toute attente, il me répond :

- Je ne sais pas, le boulot est toujours passé avant le reste. Je suis sorti avec des femmes bien sûr mais je ne les ai jamais aimées suffisamment pour imaginer un avenir avec elles sans doute. Et puis je ne suis pas un marrant non plus. Il y en a une avec qui, peut-être, j'y ai cru un moment, mais nos caractères étaient trop semblables cela ne pouvait pas fonctionner. Je fais le désespoir de mes parents qui rêvent de chérir une belle fille et des petits enfants.

Il est surpris lui-même de cette confession car il me regarde les yeux ronds. Il semble hésiter puis se lance à son tour :

- Puisque nous en sommes aux confidences, je ne t'ai jamais entendu parler de tes parents : est-ce qu'ils sont ...

- Morts ? Non mais c'est tout comme.

- Et pour tes cicatrices ?

Je redoutais ce moment mais je lis dans son regard qu'il ne s'agit pas de curiosité déplacée. Il a envie de savoir parce qu'il m'aime bien et que je suis son ami.

Je me verse un verre de vin et les yeux perdus dans mon assiette je démarre mon histoire :

- A l'école, j'étais un solitaire, je n'arrivais pas à me mêler aux autres garçons. J'étais plus petit qu'eux et mes traits fins voire efféminés m'ont valu quelques moqueries. Je suis pas mal chahuté mais le lycée est bien pire. Certains ont compris ce que je n'avais pas encore réalisé moi-même : j'aime les garçons. Je suis passé des moqueries aux insultes plus ouvertes, les bousculades sont devenues plus rudes. Mais un jour, un garçon commence à s'intéresser à moi. Il se montre gentil et je tombe amoureux. Le dernier jour de lycée, il m'emmène à l'arrière du bâtiment disant qu'il a une surprise pour moi. Je tombe en fait dans un piège, et mon premier amour me pousse contre le mur et me crache dessus. Il n'avait jamais été amoureux de moi, lui et ses camarades voulaient juste vérifier que j'étais bien une « tarlouze ». Je me retrouve acculé et ils me lancent divers objets en me couvrant d'insultes. Il y en a un qui tombe sur une bouteille vide en verre, il me la lance. Elle s'est brisée sur moi et m'a entaillé la nuque. Ils ont filé à la vue du sang.

Je bois une gorgée de vin et je poursuis en débarrassant la table :

- Je me retrouve aux urgences avec le dirlo du lycée expliquant à mes parents la raison de ce qui m'a amené ici. Leur regard a été le pire de tout. De retour à la maison, ils ne me disent pas un mot mais je les entends parler à voix basse dès que je suis dans ma chambre. Le lendemain, je laisse un mot sur la table de la cuisine les prévenant que je vais faire un tour et que je reviendrais surement tard. A mon retour, deux grands sacs, contenant vêtements et autres affaires, m'attendent sur le pas de la porte. La serrure a été changée. Je n'ai même pas droit à une note d'explication : juste mes affaires dehors et une maison dans laquelle je ne peux plus rentrer. En même temps on ne peut pas faire plus clair comme message : ils préféraient ne pas avoir de fils plutôt qu'avoir un fils homo.

Je me ressers un verre de vin et m'installe sur le canapé. Thomas m'y rejoint, il n'a pas prononcé un mot. Je continue :

- Me voilà donc à 17 ans dans la rue à côtoyer les SDF. Une nuit je me réveille, il y en a un qui est en train de se branler sur moi. A ce moment-là, un truc s'est déconnecté dans ma tête. Un tesson de bouteille traîne à côté de moi, je me revois le saisir et rien d'autre après. Je me réveille à l'hôpital qui fait appel à une asso. Elle vient en aide aux jeunes homos dans ma situation, sans famille et sans endroit où aller, et me prend en charge. L'asso m'obtient une bourse pour l'université et une chambre dans un foyer et là je rencontre les meilleurs amis que la terre puisse me donner.

Je le regarde dans les yeux pour la première fois depuis que j'ai commencé ma narration. J'ai peur de lire cette fois de la pitié dans ses yeux, ce que je ne supporte pas. Mais son regard me témoigne de la compassion et une sorte de reconnaissance tacite de lui accorder ma confiance.

Il vient près de moi et affectueusement me prend dans ses bras : ça vaut tous les discours du monde. Je ferme les yeux et m'abandonne dans son étreinte chaleureuse.

***

Le taquiner dans la salle de bain a été facile. Je me rends comptes que ses mimiques agacées m'ont manqué. Malgré ses hématomes, je trouve son corps élégant, il est fin mais pas sans muscles. Ses épaules sont un peu plus larges que je ne pensais. Il dégage une délicatesse presque féminine. Je l'asticote encore un peu mais cette fois c'est pour masquer mon embarras de l'avoir ainsi étudier.

Ça fait bizarre d'avoir quelqu'un qui m'attend quand je rentre du boulot. Sa présence est agréable et anime la maison, je me surprends à être content de rentrer à présent.

Son histoire est bouleversante. Je le vois sous un tout autre jour. Il m'impressionne et pour la première fois, je me sens petit à côté de lui. Il a en fait une force insoupçonnée qu'il dissimule sous une désinvolture de façade.

Je l'enlace parce que c'est la seule chose que je peux lui offrir sur le moment, parce que je ne veux plus qu'il soit triste, parce que je veux qu'il sache qu'il n'est pas seul ni maintenant, ni plus jamais.

Le ChallengeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant