— Juste ça ?

— Et me commander une ou deux pièces pour les réparations. Je les paierai, bien sûr.

— T'as continué à bricoler ces dernières années ?

— ... pas vraiment...

À dire vrai, avant d'examiner la voiture d'Éric, il n'avait pas mis les mains sous un capot depuis qu'il avait quitté le garage de son oncle, bien des années plus tôt. Pourtant, apprendre le métier avec Pierre faisait partie des meilleurs moments de son existence. C'est à cette époque qu'il avait pris goût à la mécanique, et de tous les métiers qu'il avait exercés, travailler dans le garage de son oncle restait son préféré.

— Je pensais que tu aurais continué. T'étais doué.

— Je ne suis pas sûr, dit-il avec hésitation.

Mais si ! Par contre, si t'as pas pratiqué depuis quoi... quatre ans, cinq ? Je pense que t'as dû perdre un peu.

— Six. J'ai sans doute oublié des trucs, oui, avoua-t-il.

— Je te filerai un coup de main, si tu veux.

Alors que la perspective de revoir son oncle l'angoissait, celle de le retrouver autour d'une voiture lui plaisait. Tous deux occupés par autre chose que ses années d'absence, leur discussion ne se limiterait pas à l'absence inexpliquée de Nicolas. Et il n'aurait pas à affronter le poids de son regard et ses reproches informulés, ceux-là mêmes qu'il entendait depuis l'autre bout du combiné à chacun de ses soupirs, chacun de ses silences.

— Ce serait super.

— T'as qu'à amener la voiture dimanche. On regardera à deux.

— Merci...

Pierre enchaîna avec les pièces à changer et, sur la promesse de se revoir, ils raccrochèrent. La tête de Nicolas tournait quand il reposa le combiné sur le vieux support, une antiquité conservée par sa mère.

Je dois me reprendre.

Il était presque dix-sept heures quand il gara la Mini devant la maison d'Éric, ses disques de freins neufs et ses bougies changées. Le véhicule n'émettait plus le moindre bruit inquiétant. À son arrivée, son oncle lui avait proposé de regarder d'abord les deux voitures qui attendaient dans son garage. Nicolas avait eu le sentiment de passer un examen pour vérifier son niveau. Ils avaient ensuite passé deux heures à procéder aux réparations.

Aucun d'entre eux n'avait évoqué sa longue disparition. Selon toute probabilité, Pierre avait compris qu'il ne souhaitait pas s'étendre sur le sujet. À l'aube de sa seizième année, Nicolas avait quitté le domicile familial et choisi de couper les ponts avec sa mère. Son oncle avait endossé le rôle de mentor en lui apprenant son métier. Mais si cette épreuve les avait rapprochés, ce ne fut jamais au point d'aborder les confidences. Jamais Nicolas ne lui avait confié la raison pour laquelle il s'était disputé avec sa mère. Jamais il ne lui avait avoué les drames qui s'étaient joués dans son enfance. S'il les avait appris, ce n'était pas de sa bouche. En toute logique, il ne s'était pas livré à Pierre et avait préféré se pencher sur la raison de sa venue : la mécanique, un thème qu'ils maîtrisaient tous les deux et qui ne les mettait ni l'un ni l'autre mal à l'aise.


La portière claqua. Au son métallique, il se rappela du bruit du capot qui se refermait ; de l'invitation de son oncle à le solliciter en cas de besoin. Nicolas prit brusquement conscience qu'il n'était pas aussi seul qu'il le croyait.

Depuis le trottoir, il admira la maison individuelle très récente avec son jardinet sur le devant. Comparé à la forêt vierge qui s'étendait devant la sienne, il se rappela qu'il avait encore du travail pour lui rendre ses lettres de noblesse.

L'Héritage (L'Hybride, Livre 3)Where stories live. Discover now