La bête

9 0 2
                                    


A partir de ce jour, les trois enfants passèrent la majorité de leur temps ensemble. Edmund grandit comme pupille du roi au côté d'Erick et un solide lien fraternel se tissa entre eux au fil des années. Elisa charmait sa cour, une longue ribambelle de jeunes hommes distingués, mais guettait d'un œil avisé les gestes d'un autre garçon. Hélas pour elle, aucune jalousie n'émanait d'Edmund, même lorsqu'elle s'aventurait à embrasser la joue de son cousin. Celui-ci n'était d'ailleurs pas très enjoué lorsque cela se produisait et un jour,alors qu'elle venait de lui voler un baiser sous les yeux médisant de sa tante, il ne tarda pas en subir quelques remontrances.

_ N'as-tu donc pas honte ?Te laisser embrasser de la sorte, s'emporta la reine.

Il ne répondit pas.

_ Je vois bien comment tu la regardes. Vous passez trop de temps ensemble tous les trois. Tu oublies qu'elle est ta cousine.

_ Vous vous méprenez, mère,avait-il fini par lancer.

_ J'espère sincèrement me méprendre. Aurais-tu déjà oublié comment finissent les hommes au cœur corrompu ?

Sans attendre la réponse, ils'était éclipsé loin d'elle, loin d'Elisa, loin d'Edmund, loin de tout et de tous. Il repensait à la vieille Agatha, à ses histoires.Les hommes ou les femmes dont le cœur était touché par la haine se changeaient en d'abominables monstres. Mais, son cœur était-il vraiment malveillant ? L'amour qu'il refoulait pouvait-il engendrer de tels dégâts ? Il retira sa chemise et l'envoya valser par terre. Alors qu'il s'apprêtait à s'allonger sur son lit,il aperçut son reflet dans le miroir. Il s'approcha pour s'examinait de plus près. Rien. Pourtant, l'espace d'une seconde, il aurait juré avoir vu une épaisse fourrure le long de son échine.


L'automne fit son apparition,avec le froid mordant et ses pluies diluviennes. Elisa trouvait la saison empreinte de romantisme. Elle venait tous les jours frapper à la porte de son cousin, forçant le jeune homme à faire de longues balades à ses côtés et ceux d'Edmund. Le vent continuait de siffler à ses oreilles de sinistres pensées. Était-ce son esprit ou de réels présages ? Les mois lui paraissaient longs et monotones. Alors que l'hiver arriva avec ses premiers flocons de neige, la jeune femme s'éclipsa du château pendant plusieurs mois dans un pays plus chaud. Erick passa son temps aux côtés de son frère de cœur. Celui qui semblait le connaître et le comprendre mieux que quiconque. Cet enfant timide et apeuré qui désormais s'épanouissait en un charmant jeune homme cultivé et avenant. Ainsi que son charmant sourire qui faisait tourner quelques têtes, au grand dam d'Elisa. Ensemble, ils retrouvaient une part de leur enfance et leur complicité, apaisant l'esprit d'Erick. Jusqu'à une nuit. Une nuit glaciale. Le vent se fit plus violent que jamais, les volets battaient contre les murs, les sifflements du vent se faufilaient dans les moindres fissures jusqu'au lit du prince. Les voix incessantes le tiraillaient. Comme un fou, il sortit de sa chambre, plaquant ses mains sur ses oreilles pour les faire taire. On se précipita pour l'aider. Edmund le prit par les épaules, tentant de le rassurer.

_ Elles sont là, je les entends,elles sont là ! Les voix, je les entends !

Son ami resta près de lui toute la nuit. Le lendemain, on fit venir des médecins pour savoir quelle était la cause de cette soudaine folie. Mais aucune réponse ne parut satisfaisante. La reine était folle de rage et faisait les cent pas près du lit de son fils. Elle le maudissait lui et son amour impur.

_ Ne t'avais-je pas prévenu ?Fils ingrat, prince indigne ! Ton cœur est corrompu par cet amour incestueux. Voila que tu vas te transformer en une bête monstrueusement laide. Mon fils, mon seul héritier ...

_ ASSEZ ! coupa Edmund. Assez ! Ne voyez vous donc pas qu'il est souffrant ?

_ Il mérite son châtiment !

La bêteWhere stories live. Discover now