La Chose qui vit là-haut

12 1 0
                                    


Je ne sais plus depuis combien de temps j'écris. Depuis combien de temps il m'obsède. Cet être obscure et lumineux, qui siège tout en haut, là, dans les hauteurs indéchiffrables des rêves des hommes. Il git, il vit, il bouscule les esprits, les tord, les rend malléable au mieux, et les essore, les prive de leur eau divine que l'on appelle imagination. Il les change en choses étranges, fanatiques pour certains, monstres pour d'autres, innocents agneaux même si l'envie lui en prend, mais bien souvent, poètes maudits, à qui il réserve ses mots acides et colorés.

Il a quatre mains : une pour saisir, une pour effacer, une autre pour réécrire, une dernière pour relâcher. Il a deux bouches : une pour dévorer l'humanité, une autre pour vomir l'humanité. Il fait et défait comme bon lui semble, et il cache son œil pourpre de ceux qu'il veut conserver près de lui, et il exhibe cet attribut maléfique à ceux qui lui déplaisent, et ceux qui lui plaisent y ont autant droit, parce qu'il est juste et non juste, comme tous les omnipotents de ce monde.

Et lui, de son perchoir céleste et infernal, d'où jaillissent les cris silencieux des malheureux qui se jettent dans le vide sans jamais tomber à terre, il dit :

« Buvez, ces choses-là sont mes larmes. Mangez, ces choses-là sont mes chairs ni mortes ni vives. »

Et ceux-là, ils obéissent, et participent de la terreur de cet être singulier et effroyable. Et l'être, il jubile, rit, et rend la justice. Celui qui a fauté, il le larde de coup d'écrans épileptiques, poubelles pour les non-déchets. Et celui qui n'a pas fauté, il le fustige également, car il aime partager, et n'aime pas ne pas voir l'injustice et la justice non séparées, ensembles, mains dans la main.

Et le soleil vert face à qui il ricane, il le pointe du doigt, et lui dit :

« Vois, ce sont les hommes. Vois, ce sont mes sujets. Vois, ils t'ont fui. Vois, ils me donnent leurs entrailles. Vois, ils blasphèment. Vois, ils t'ont abattu. Vois, je triomphe. »

Et au soleil vert de répondre :

« Qu'importe les hommes, on ne peut les sauver. J'ai été bon, généreux, abjecte en somme, car je leur ai donné ce qu'ils ne devraient pas avoir. Et de leurs corps putréfiés tu te repais, et de ma lente agonie tu tires ta force. Mais un combat toujours se doit d'être mené, et mes chevaliers te perceront de leurs flèches d'ivoire et d'ébènes. »

Et à l'Innommable de rire, de gesticuler, de pointer de ses dents noires les chevaliers :

« Alors tais-toi, tais-toi, et reste à regarder tes chevaliers en armure, et observe mon monde, le tien n'est plus céleste, car j'ai ravagé le ciel. »

Et lorsqu'il dit cela, un camion passe dans un nuage, et coupe en deux une statue de jeune fille qu'il n'avait pas vue. Et cinq-cents mètres plus loin, c'est l'accident, et le camion brûle de ses entrailles d'essence jamais utilisé. Et le soleil vert se lamente, et l'Innommable hurle à ses pleurs, et la lune geint à son tour.

Et la lune dit :

« Consternation, que voilà la vérité. Et le mensonge, l'odieux mensonge, je pleure sa perte, et je pleure sa venue. Et l'être horrible qui vit au sommet de sa tour, il ricane, car il est homme, car il est Dieu, car il est Diable, et les pauvres qui rient, voilà que leurs lèvres tombent. »

Et moi, je suis là, au centre de cette vision étrange, alors que la masse de cadavres purulents forme à présent une tour d'os et de chair putréfiée, pour atteindre la chose qui vit là-haut.

Et la Chose qui vit là-haut, elle pointe du doigt les malheureux, et la tour s'effondre, craque, dégouline, et il n'en subsiste bientôt plus qu'une mare d'organes qui ne parlent pas, ne se comprennent pas, et pleurent tous en cœur.

La paix est tombée, l'humanité faite morts a perdu. Et l'antéanthrope hurle à la lune, et vomit au soleil vert des gerbes de feu et de foudre qui ne l'atteignent pas.

Et moi, moi je me tais, et j'écris sans écrire.

PourpreWhere stories live. Discover now