Confidences Jeudi 6 Novembre 2014, 16h15

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Voilàtrois mois que Lucille avait fait sa rentrée à Giacometti. A sonplus grand désarroi, la jeune fille devait bien admettre une chose :sa mère avait eu raison. Les premiers temps furent rudes mais lasuite se déroula plutôt sans embûche. Elle s'était faite un petitgroupe d'amies dans sa classe et avait sympathisé avec certains adosdu voisinage. Notamment Ali, Eliott et une autre jeune fille nomméeCharlotte Dorange, la fille des propriétaires de la boulangerie ducoin de la rue. Le petit groupe avait pris pour habitude de seretrouver quasiment tous les soirs sur la petite place pour refairele Monde. Tout cela était nouveau pour Lucille. Jusque là, la jeunefille n'avait vécu que dans un quartier huppé aux façades froideset au voisinage anonyme. Ici, tout était différent. Le quartierPlaisance avait su rester populaire et gardait un charme suranné.Dans les rues, on parlait toutes les langues, aux terrasses desbistros, les mères de familles côtoyaient les étudiants et lespetits commerces de proximité faisaient l'unanimité.


Contretoute attente, Lucille se plaisait dans ce quartier. Et puis il yavait Ali, Eliott et Charlotte.

Aliétait l'un de ces garçons que tout le monde écoutait. Dans cepetit corps se cachait un charisme hors du commun pour son âge.Leadeur dans l'âme, il savait manier la langue de Molière commepersonne et regorgeait d'arguments pour arriver à ses fins. Sadernière victoire en date ? Pour son anniversaire, ses parentsavaient craqué et lui avait offert un scooter flambant neuf. Commequoi, tu vois Lucille, faut jamais lâcher le morceau !S'était-t-il écrié, fier de lui, le lendemain de son anniversaire.

Charlotteétait une petite blonde vive à l'esprit rebelle. Toujours partantepour participer aux plus mauvais coups, elle était dotée d'unhumour sans limite. Sociable, elle semblait en lien avec tous leshabitants du quartier et c'était grâce à elle que Lucille avait puêtre intronisée dans le petit groupe. Aussi bruyante que Lucilleétait sage, elle l'entraînait, petit à petit, de jour en jour, às'ouvrir au Monde, à sortir de son rôle de petite fille modèle quilui collait à la peau.

Etpuis il y avait Eliott. Eliott, c'était Eliott. L'esprit dans lalune, les yeux rêveurs et le sourire éclatant. Lucille en étaitdéjà sans doute amoureuse, sans vouloir se l'avouer. Elle pouvaitl'écouter parler pendant des heures. Garçon curieux et passionné,pour lui, toute nouvelle découverte était prétexte à de nouveauxrêves, de nouveaux projets. Tantôt discret, tantôt expansif,Eliott jouait sur les deux tableaux. Insensible aux regards desautres, son naturel, son impulsivité et son honnêteté nemanquaient jamais de surprendre Lucille. Ensemble, ils partageaientles mêmes goûts musicaux éclectiques, ils aimaient les mêmeslivres et rêvaient des mêmes voyages.

Aurait-elleaimer devenir sa petite amie ? Bien sûr. Osait-elle ne seraitce qu'imaginer la possibilité de lui en parler ? Non,évidemment. Comment une gamine dans son genre pourrait plaire à ungarçon comme lui ?


Unaprès-midi de Novembre, Lucille et Ali remontaient la rue deGergovie d'un même pas. Les deux adolescents partageant la mêmeclasse, ils faisaient quotidiennement le trajet ensemble.

« Bonet du coup, pour toi et Eliott ? »

Lucille,étonnée, resta interdite. De quoi parlait-il ?

« Quoimoi et Eliott ?

-Ilm'a dit ce qu'il t'avait dit hier. »

Lucillecreusa dans sa mémoire. Eliott ne lui avait rien dit de particulierla veille, ils s'étaient à peine croisé... Les deux adolescentstournèrent dans la rue Raymond Losserand devant le restaurantjaponais qui faisait l'angle et sentait toujours très fort lepoisson cru.

« Ilm'a rien dit hier.

-Ah.Euh... Laisse tomber alors, je dois confondre. »

Seulement,curieuse et piquée au vif, Lucille ne l'entendit pas de cetteoreille.

« Dismoi ! Qu'est-ce qu'il t'a dit ? » Insista-t-elle.

Durantun long moment, Ali refusa de lui confier quoique ce soit malgrél'insistance grandissante de la jeune fille. Puis, devant le petitserrurier de la rue de Plaisance, Lucille le força à s'arrêter etencra son regard dans le sien.

« Ali,dis moi ! J'te jure, je lâcherai pas le morceau, c'est toi quime l'a appris. » Lui intima-t-elle, le plus sérieusement dumonde.

« Bonok, ok mais... Eliott était censé te le dire lui-même.

-Bont'accouches ou bien ?

-Ilveut sortir avec toi. »


Faceà cette nouvelle, Lucille sentit ses joues s'empourprer. Elle quittaAli du regard, passa sa langue sur son appareil et se remit enmarche, un petit sourire accroché aux lèvres. Le jeune homme larattrapa bien vite.

« Çan'a pas l'air de te déplaire ! » Observa-t-il d'un œilrieur.

« J'saispas... » Répondit-elle, feignant une certaine indifférence.

« Quoitu sais pas ?

-Beinje sais pas, je vais voir ! »

Alihaussa les épaules, peu désireux de comprendre la psychéecompliquée de son amie.


Arrivéesur la petite place, Lucille, comme à son habitude, s'installa surleur banc. Ali, lui, se dirigea vers son immeuble.

« Turestes pas ? » Demanda la jeune fille.

« Non,ma mère est pas là, je vais en profiter pour jouer à la Play,normalement j'ai pas le droit le soir. Tu veux monter ? »

Lucillegrimaça. Les jeux vidéos n'étaient vraiment pas sa tasse de thé.

« Nonça ira. A demain ! »

Surce, elle sortit de son sac-à-dos un livre épais, s'installa entailleur sur le banc et commença à lire. Certes, l'air se faisaitfrais en ce mois de Novembre et le ciel commençait à s'obscurcirdangereusement mais Lucille aimait rester dehors. Emmitouflée dansson manteau, elle profitait ainsi, le plus longtemps possible, del'ambiance animée de la place.


Lesminutes passèrent, peut-être même une heure, sans que la jeunefille sans rende vraiment compte, perdue dans sa lecture et lespensées amoureuses déclenchées par le secret d'Ali. Soudain,quelqu'un s'installa juste à côté d'elle. Cette-dernière,surprise, se tourna brusquement. C'était Eliott. Il lui sourittimidement. Lucille lui retourna son sourire, posa son livre sur sesgenoux et ne su quoi dire.

« Çava ? » Demanda-t-il, tout simplement.

« Oui,oui. Et toi ?

-Çava. »

L'atmosphèrehabituellement si détendue et agréable entre les deux n'était pasau rendez-vous ce jour-là. Un silence gênant s'installa de nouveau.Au bout de ce qu'il sembla un éternité pour Lucille, le portabled'Eliott sonna, lui indiquant qu'il venait de recevoir un nouveausms. Le jeune garçon le sortit de sa poche et ouvrit le message.

« mec,je crois que j'ai fait une boulette. J'ai dit à Lucille ce que tum'avais dit. T'es con toi aussi ! Pourquoi tu m'a dit que tu luiavais parlé alors que non ??? »


Discrètement,Lucille s'était légèrement penchée sur le portable d'Eliott,curieuse de lire, elle aussi, le message reçu. A sa lecture, lajeune fille sentit sa gorge se serrer. Décidément, ce moment gênantn'était pas prêt de se terminer... Quand elle releva le regard,elle vit que celui d'Eliott était posé sur elle.

« Ohpardon, je... je regardais... Pardon. »

Lejeune garçon ne répondit rien, se contentant de sourire et deranger son portable.

« Et...Du coup ? » Demanda-t-il, énigmatique, en encrant sesyeux clairs dans ceux de Lucille.

« Euh...Bein c'est cool. » Tenta-t-elle d'articuler de sa voixtremblante.


Eliottse pencha alors vers elle et posa ses lèvres contre les siennes. Lesgestes furent maladroits et hésitants. Peut-être le baiser duratrop longtemps, peut-être aurait-il fallu bouger d'une manièredifférente ? Peut-être les dents s'entrechoquèrent trop ?Quoiqu'il en soit, c'était le premier baiser de Lucille et Eliott,et pour l'instant, c'était tout ce qui comptait.

Grandir ensembleWhere stories live. Discover now