Tout me stresse, c'est comme ça. Faut s'organiser avec toutes ces nouvelles choses. Enfin, tu subis l'organisation plutôt que de la mener comme bon te semble. Tu n'as pas vraiment le choix. Les journées se ressemblent alors toutes, tu n'as même plus l'impression de vivre. Et pourtant, je ne suis pas chiant à ce niveau-là. Je n'ai pas besoin de faire le tour du monde pour me sentir vivant. J'ouvre un bouquin, je regarde un film, j'écoute de la musique et hop, le tour est joué. Mais surtout, j'écris. Et comme je vis en écrivant, je me fatigue. Or, quand je rentre chez moi le soir, je suis fatigué. Quand j'arrive au boulot le lundi, je suis fatigué. Le week-end, au lieu de vivre, je m'ennuie. Je n'ai de goût à rien. Je pense à toutes les choses que je vais devoir faire dans les prochains jours, si ce que j'ai déjà fait a bien été fait, etc ... C'est le genre de paperasse qui me donne envie de tout laisser tomber. Je ne m'intéresse plus. Je n'ai même pas envie de savoir. Tout me prend la tête, tout.

Quel connard me diras-tu. On a tous à subir ces saloperies. Les papiers d'assurances, les heures au téléphone pour tenter de joindre telle ou telle entreprise, banque, etc ... Mais c'est un tout. Je commence à craquer physiquement, psychologiquement ... Je ne sais pas pourquoi ça me fait ça. Tout le monde vit ce passage au monde adulte. Tout le monde doit se prendre en charge à un moment donné. Et je le fais ! Mais je n'en peux plus. J'ai besoin de respirer, de rêver. C'est invivable.

Quand est ce que je serais livré pour mes meubles ? Est-ce que je serais présent pour les réceptionner ? Est-ce que tous les papiers de l'assurance ont été réglés ? Comment je vais les monter ces meubles ?

Tu pourrais me rétorquer que je suis paradoxal. Je dis qu'étant enfant j'avais des rêves et des ambitions alors que plus tôt je t'affirmais que je laissais déjà tout tomber à cette époque. Seulement quand j'étais gosse, j'avais une excuse de dingue : le temps. Aujourd'hui, le temps, il défile. Et puis si tu te poses cinq minutes, tu te sens mal, t'as l'impression d'être une merde. En fait, ce n'est pas seulement l'entourage qui te le fait comprendre, ce n'est pas tant les « règles sociales » qui me le mettent en tête. Non, c'est moi. Tous les jours, je me juge.

« P'tain mais bouge-toi le cul, arrête de regarder la télé ! Ecrit ! Sors ! Et tes papiers alors ? T'es grand maintenant, merde, ressaisis-toi ! ».

Quand j'étais gosse, je pouvais arrêter un « projet » sans entendre la voix de la raison au fin fond de mon crane. J'écrivais par plaisir. Je faisais autre chose en attendant. Au fond, j'étais gamin, je pensais avoir tout le temps pour le faire, toute la vie. D'autant plus que, comme dit plus haut, je reprenais souvent quelques semaines voire quelques jours après.

Bon, parlons de la qualité de ces chiffons ... Clairement, c'était de la merde. Tu as pu le voir, même les conneries que j'écrivais lors de mon adolescence étaient plus que moyennes. Mais, tout ça, au final, on s'en tapait. Ce qui comptait, c'était que ça me fasse du bien. Certes, c'était incompréhensible, idiot, faussement rebelle mais ...

Tu vois, plus de doutes, je suis un adulte aujourd'hui. Aujourd'hui, je réfléchis. Je n'écris plus pour ce qui me passionne mais j'écris pour tout autre chose. Maintenant, je fais toujours attention à tout.

« Non, tu ne peux pas faire ça comme cela, les gens ne vont pas comprendre ! » ; « Quoi ? Comment ça, la femme fait la cuisine ?! Bravo, le sexisme ! » ; « Mais cette histoire elle est vue et revue ! Tu dois inventer quelque chose de dingue, de novateur, d'inédit ! Mets des Orques en antagoniste si tu veux mais, oh, bravo le plagiat sur le Seigneur des Anneaux ! Où est ton imagination, sombre crétin ? » ; « Aie, non, t'auras jamais le budget pour cette scène. Non, non, personne ne voudra de ton scénar'. Trop compliqué. » ; « Si tu parles de ton ex, fais gaffe, à la sortie du film, elle va te coller un procès ! » ; « Enfin, encore faut-il que tu fasses la note d'intention du scénariste et le synopsis pour la prod' ! D'ailleurs, ça fait combien de temps que tu devais les travailler ... ? Un an, plus ou moins ? Ouais, t'es vraiment un incapable. » ; « Attends, donc le seul gros projet que tu as réussi à clore, raconte en fait l'histoire que tu as vécue avec ton ex ? D'accord ... Donc tu n'en as pas tant souffert que ça, je me trompe ? Tu t'es dit que ça pouvait être chouette à raconter, que ça allait te faire du pognon et basta. T'es un opportuniste. Un artiste qui n'a tellement rien à raconter qui calligraphie un personnage qui se plaint pendant presque deux heures de film ! En plus ! Chouette comme début de carrière ! » ; « Attends, calme toi cow-boy ! Quelle carrière ? Tu te prends le bourrichon on dirait ... ».

Itinéraire de rien du toutWhere stories live. Discover now