L'épopée des pigeons

Chapitre I

Gérald survolait la route, scrutant les alentours à l'affût du moindre petit mouvement.

Il avait parfaitement conscience du regard attentif de Marina, sa douce moitié, la future mère de ses enfants (enfin, il lui fallait encore la prévenir, mais c'était presque acquis).

Il s'efforçait donc de voler le plus harmonieusement possible, agitant ses petites ailes gris sale, tentant désespérément de garder sa trajectoire.

Gérald était un jeune pigeon grassouillet et malhabile, des petits yeux jaunes, des plumes rares et rêches. Il avait malgré tout une excellente vue, pour un pigeon, et savait dénicher un quignon de pain ou un cafard mieux que quiconque. Il misait donc sur cette aptitude pour séduire Marina, et cherchait un petit mulot à attraper. Les pigeons ne sont pas des rapaces, et ne chassent pas les mulots, mais ça, personne n'avait pris la peine d'en avertir Gérald.

Les mulots ne voulant pas se montrer et ne voulant pas revenir bredouille de sa chasse, Gérald alla tout de même déterrer un gros ver de terre juteux pour sa belle.

Il fit un demi-tour et fixa le nid de Marina de son petit œil jaune. Elle n'y était plus.

Gérald fronça les sourcils (les pigeons n'ont pas de sourcils mais, encore un fois, personne ne l'avait prévenu et Gérald se trouvait donc muni d'une paire de sourcils noirs et fournis), et regarda autour de lui.

Le ver s'écrasa sur le sol.

Bouche bée (ou plutôt bec bé mais passons.), Gérald fixa Marina qui, juchée sur une branche de pin, roucoulait avec Georges.

Il n'aurait pourtant pas dû être surpris, cela faisait un certain temps que ces deux-là étaient ensemble, mais Gérald avait la mémoire courte et était particulièrement stupide, ce qui faisait qu'il se sentait toujours trahi lorsqu'il voyait Marina avec Georges, bien que cette dernière ne lui dût rien.

Plongé dans son ressentiment, Gérald restait en vol stationnaire et ne se rendit compte de sa vulnérabilité que lorsqu'il se retrouva écrasé sur le pare-brise d'une Revus 402 bleu clair.