La bête et le chaperon - Edité aux éditions Imaginary Edge

Chapitre 3 -

Depuis quatre ans, je ne supporte plus le brouhaha de la bibliothèque municipale. J'entends chaque chuchotement, chaque stylo qui roule sur le sol, chaque chaise qu'on tire sans délicatesse et qui fait grincer le parquet. Je suis à deux doigts de lâcher le bouquin que je tiens dans les mains quand la porte de la réserve hurle de vieillesse près de moi. Reprenant mon calme, je feuillette le livre sans rien trouver ; je le repose sur l'étagère en soupirant. Ce n'est pas ici que je vais trouver des informations sur le loup-garou qui rôde en forêt, mais Josh m'observe du coin de l'œil et il m'interdit formellement de sortir, au risque de me faire tuer.

Mon coloc s'approche de moi, une dizaine d'anciens bouquins dans les bras, il me fait signe d'en prendre la moitié et de nous installer à une grande table en vieux chêne dans le fond. Le seul bruit des feuilles que l'on tourne me rend malade, j'ai besoin de sortir, j'ai besoin de trouver des réponses autrement qu'en restant enfermé dans cette bâtisse étouffante. Je sens mon loup hurler de rage en moi ; quand j'observe attentivement mes mains tatouées, je vois les griffes apparaître, mon dos se courbe, je sens ma mâchoire s'élargir et mes dents s'aiguiser.

Quand tout s'arrête brutalement sous le coup d'un bouquin sentant le vieux et l'usé. Je me frotte la tête en fusillant Joshua du regard : il ne vient quand même pas de m'écraser ce livre énorme aux rebords abîmés par le temps sur le coin de la tête ?

— Sois un bon chien Con', on a dit pas de forêt tant qu'on n'aura pas au moins trouvé un indice sur ce loup étranger.

— Et si c'était un ours ? demandé-je en me tournant lentement vers lui.

— C'est toi qui m'as dit avoir senti un loup, ton flair ne te trompe pas à ce point quand même.

— Non... soupiré-je, en tirant vers moi le bouquin qui venait de me tomber sur la tête.

Je tourne les pages tellement vite que je n'arrive pas à lire ce qui est indiqué. En fait je suis plein de mauvaise volonté, car ce n'est pas mon job de faire des recherches. Moi je suis là pour expérimenter le terrain.

— Si seulement il n'y avait pas cette famille de tarés dans les parages, je n'aurais pas aussi peur, mais ils sont partout, tout le temps. Tu sais que je rêve de leurs maudits fusils la nuit ?

Je grogne en me débarrassant d'un revers de main du bouquin. Je suis furax et plus je serai en rogne, plus mon loup désirera sortir pour hurler sa colère. Mais je ne peux pas ! Mon poing tape férocement sur la table, faisant sursauter certaines personnes studieuses.

— Tu n'es déjà pas discret avec tous ces tatouages sur toi, évite aussi de casser le matériel, réprime Josh en plaçant ses lunettes sur le front.

Comment fait-il pour être aussi calme et détendu ? C'est un humain alors évidemment, il ne ressent pas la voracité qui m'anime jour et nuit. Ce démon aux grandes dents que tout le monde fuit, avec ses yeux jaunes qui vous transpercent l'âme, sa posture imposante quand il est face à vous, les babines retroussées, prêt à mordre. Je ne suis pas ce monstre dangereux.

— Tu parles des Owens, Connor ?

J'ai un petit rictus pincé.

— De quelle bande de tarés je pourrais bien parler, à ton avis. Ouais, de ces fous qui s'amusent de la mort des loups depuis des générations.

— Tu sais que leur histoire ressemble fortement à celle du petit chaperon rouge, il y a fort fort longtemps.

— Stop, j'en ai assez entendu, le grand méchant loup va se fâcher si tu continues, coupé-je mon ami en mettant ma main devant sa bouche.

Il dégage ma main en levant les yeux au ciel. Il connaît tout sur la famille Owens, il a tenté de m'en parler. Parfois je me demande s'il n'est pas l'un de leur fils caché. La seule chose que je retiens c'est le goût pour le sang de ce maudit Oscar Owens, qui me traque encore et toujours avec sa vieille guibole en bois.

— Tiens en parlant du loup, lance Josh sur le ton de l'humour.

Un groupe de fille vient de passer la porte principale. Elles me sont indifférentes, sauf une. Rubis. Elle est magnifique comme toujours, mais la tentation est bien plus effrayante. Je fais comme si je n'avais pas entendu les propos de Josh et me plonge dans un second bouquin.