Elle articula d'une voix blanche : « Paul Louis, Paul Louis ! » assez fort pour que son mari l'entende mais assez bas pour que sa fille ne sache rien de son appel. L'homme entra dans la pièce et brusquant un peu sa femme, il finit par savoir le fin mot de l'histoire. Il entra alors dans une telle rage, que ses cheveux gras habituellement plaqués sur ses tempes bouclèrent, que ses yeux délavés, un peu de la couleur d'une huître, devinrent noirs et qu'il prit une teinte écarlate. Paul Louis déboula sur la terrasse et saisissant sa fille par le bras, lui colla une gifle retentissante.

Les larmes montèrent aux yeux de Mia et elle lui cria de la lâcher. Son père vociféra d'une voix grave et erratique, le souffle coupé par la rage et la haine :

«  SALE PETITE HOMOSEXUELLE !!!! TU OSES ME PARLER SUR CE TON?!? COMMENT PEUT-ON ECRIRE DES HORREURS PAREILLES ??? BELLE INCONNUE ???? MAIS TU ES RIDICULE MA PAUVRE FILLE !!!! PARS, JE NE VEUX PLUS JAMAIS TE REVOIR!!!! »

Elle lui hurla qu'il n'était qu'un sale homophobe, incapable d'ouverture d'esprit, le visage baigné de larmes, ce qui lui valu un nouveau coup encore plus fort que le précédant qui la fit tomber à terre. Paul Louis lui jeta un tel regard qu'elle prit peur et s'enfuit dans sa chambre où elle récupéra quelques affaires, des vêtements, son portable et les lettres, les enfouit dans un sac et partit de chez elle en courant. Sa mère la rattrapa juste avant qu'elle ne passe la porte et lui dit d'une voix, un peu condescendante mais suppliante de rester, qu'ils arriveraient à la soigner, qu'elle connaissait un psychologue qui faisait des merveilles. Pour toute réponse, Mia claqua la porte.

Elle erra quelques temps dans la rue. S'abritant sous les arbres, quand il pleuvait – heureusement, il ne pleuvait pas souvent en cette fin d'hiver, sans doute à cause du dérèglement climatique. Elle fêta ses dix huit ans sans chez elle, sans personne pour le lui souhaiter. Elle ne voulait pas mendier, et elle ne dû pas le faire, ayant sur elle assez d'argent pour subvenir à ses besoins pendant les trois mois qu'elle passa dans la rue. C'était un SDF, un homme incroyable qui avait décidé de faire le tour du monde en vélo, qui l'avait recueilli, pris sous son aile, appris deux trois astuces et quand elle s'était finalement épanchée sur son épaule, un soir où il lui avait fait goûté un cidre un peu trop fort, lui indiqua le siège d'une association, pas très loin d'ici, pour aider les jeunes dans son cas.

C'est là-bas qu'elle se rendit, le cur de nouveau rempli d'un espoir vacillant, un peu hésitant comme la flamme d'une bougie tremblotante qui pouvait se transformer en grand brasier d'un moment à l'autre si elle était alimentée. Mia adora au premier coup dil cette grande maison où chacun avait sa propre chambre, où la cuisine se faisait à plusieurs en se léchant les doigts, où il y avait de grandes veillées qui durait jusqu'à tard dans la nuit, et où il y avait toujours quelqu'un pour vous écouter. Mia répondit à des interviews, lança de nombreux témoignages comme autant de bouteilles à la mer pour faire changer ce monde et se mit à chanter pour extérioriser. Elle combla peu à peu le grand vide qui l'avait envahi face au rejet de ses parents en mettant à la place, les sourires sincères, lumineux et rayonnant d'espoir qu'elle avait reçu depuis son départ.

C'est totalement en phase avec elle même, qu'elle revit un jour, sa voisine, sa si belle voisine : la brindille à la peau brune arriver comme une fleur dans le hall du foyer. Elle se figea. Son ancienne voisine fronça les sourcils :

Qu'est ce que tu... Pardon, qu'est ce que vous faites là ? s'étonna la jeune femme noire.

Avec surprise Mia s'entendit raconter son histoire, sans trop balbutier. La jeune femme ne dit rien mais la lueur de révolte et d'horreur qui brûlait dans ses yeux parlait pour elle. Sa peau brune se colora quelque peu quand Mia lui avoua l'existence des lettres qu'elle lui avait écrite. Son récit fini, Mia interrogea sa voisine. La discussion s'était éternisée dans le hall puis dans un café, autour d'un chocolat chaud qui débordait de chantilly et de guimauve, et pour finir dans la chambre de Mia quand le café avait fermé, en mangeant des caramels mous qui se collaient aux dents des deux jeunes femmes et les empêchaient d'articuler correctement.

Mia, par le passé, avait tout aimé d'elle, et aujourd'hui, elle aimait encore tout d'elle. Son nom « Charlie » dont Mia s'était doucement moquée en lâchant un « où est Charlie ? » hilare, son rire qui cascadait comme une pluie de perles de cristal sur le carrelage, ses cheveux noirs, épais, parfumés d'une essence un peu masculine, sa manie de la saisir par le bras et de la transpercer du regard quand elle lançait un « Tu sais... » souvent suivi d'une anecdote ou d'un conseil, sa façon de prononcer « Mia », en le faisant rouler sur sa langue, comme un bonbon, ses yeux en amande qui souriaient avant ses lèvres, lèvres qu'elle avait rondes, brunes et pulpeuses, sa voix de fumeuse, rauque, éraillée, aux accents parfois étrangement masculins, son visage fin, sa mâchoire taillée comme par le plus doué des sculpteurs dans une pierre noire et tendre, sa peau veloutée, son sourire à fossettes comme si on avait donné deux coups de dents dans la chair chocolat de ses joues, sa manière de prendre une pose et une expression de sage qui a tout vécu quand elle lâchait son dicton fétiche à chaque fois que Mia pestait contre la société, les gens et le monde en général : « Il faut pardonner l'ignorance... »

Charlie de son côté, avait un le coup de foudre pour la jeune femme quand elle l'avait vu dans ce hall d'entrée, figée comme si elle avait vu cupidon en personne. Ses yeux violets l'avaient happée pour ne plus la relâcher, ses cheveux d'un roux foncés ou d'un brun acajou - elle ne savait jamais - un peu emmêlés, sa bouche légèrement ouverte, rose, tentante. Elle n'avait plus rien de la petite voisine bourge qu'elle avait connue. C'était devenu une belle femme. Dix huit ans... Charlie, elle en avait vingt trois. Cinq ans d'écart était-ce trop pour tenter le coup ?

Mia se mordit la lèvre. Charlie adorait ce petit toc qui ne la rendait que plus séduisante. N'y tenant plus, elle se jeta sur les lèvres de la jeune rousse. Elle avait pris sa décision : Mia était rousse et cinq ans ce n'était rien ! Et puis, quand elle lui révélerait son secret plus tard, si Mia la repoussait, elle aurait au moins goûter la saveur de ses lèvres.

Parce que Charlie, elle était revenue dans ce foyer comme un pèlerinage pour se rappeler que c'est là qu'elle avait été accueillie quand ses parents l'avait rejetée. Rejetée pas exactement pour son homosexualité parce qu'elle ne l'était pas.

Non, rejetée parce que Charlie n'était pas vraiment une femme. C'était un homme, oh! Comme ils disent...

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