1918

4 1 0
                                    

Depuis ma fenêtre,j'admire le ciel. Il fait beau aujourd'hui. Adèle m'a proposé dem'asseoir dans un fauteuil roulant pour que je profite du temps àl'air libre mais j'ai refusé. Aller dehors voudrait dire regarderles gens marcher sur le sol alors que moi je ne peux pas.


Il m'a fallu longtempspour accepter la perte de ma jambe droite. Nous sommes maintenant en1918, cela fait 6 mois que je me trouve à l'hôpital et que j'aiquitté le front. 6 mois depuis mon amputation.


Je ne pense pas réellementavoir fait le deuil de la perte définitive de mon membre. Souvent lanuit je rêve que je suis sur la table d'opération et que lesmédecins sont en train de me couper la jambe. Je leur cris alors dene pas le faire, je les supplie et à chaque fois ils ne m'écoutentpas.


J'en veux aux médecinsmais par dessus tout j'en veux à la France. Je lui en veux dem'avoir réquisitionné, de m'avoir arraché à mon pays. J'utiliseson nom comme juron, je joue aux fléchettes avec le portrait dePétain. La haine remplie mon être. Je hais ses gens qui aiment laguerre, qui aiment faire couler le sang, qui ont fait couler le mien.


Adèle me répète quec'est la faute des allemands et non des français. Adèle, jolie etdouce Adèle. Elle est naive mais ce n'est pas sa faute. C'est ce quetout les gens répètent car ils ne veulent pas assumer que c'estautant leur faute que celui des allemands. Adèle ne sait pas cequ'est la guerre, ni les horreurs commises là bas.


Souvent, la nuit lorsqueje n'arrive pas à dormir, elle vient me tenir compagnie. Elles'assoit près de moi et me raconte sa vie avant la guerre. Elle n'aque 19 ans, c'était une enfant lorsque la guerre a commencé, c'esttoujours une enfant. Elle me parle de sa famille, du faite qu'elle apris ce travail pour ramener de l'argent. Parfois, Adèle ne ditrien. Elle regarde juste par la fenêtre la lune et souritnostalgiquement.


Sans Adèle, je crois queje n'aurais pas tenu. J'aurai pris la première corde qui passe pourme pendre. À quoi bon vivre maintenant que je suis devenu unestropié ? Un monstre ? Ma famille n'aura pas l'argent pours'occuper de moi et je ne veux pas leur donner une tâche en plus.


Je vais rester en France,ce pays qui n'est pas le mien et qui ne le sera sûrement jamais. Jevais y rester et je vais sûrement y crever. Mais ce ne sera pas surun champ de bataille, plus maintenant.


Un groupe d'oiseauxtraversent le ciel à toute vitesse. Ils me rappellent ,nous, lessoldats sur le front. Je pense à mes "camarades". Que leursont-ils arrivé ? Sont-ils morts ? En tant que soldat, on pense toutle temps à la mort, à ce qu'il y a après. Nous avions desdiscussions qui duraient des heures sur ce sujet. Certains pensaientqu'il valait mieux mourir que de vivre avec un bras ou n'importequelle partie du corps en moins.


Je pense qu'ils avaientraison, la mort aurait été un destin bien plus doux.


Peut-être que je ne suispas mort mais je suis sûr d'une chose, je ne suis pas totalementvivant non plus.

Les oiseaux du frontWhere stories live. Discover now