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9h12. Un dernier petit effort, cris, pleurs, c'est un garçon ! Bill venait de naître. Il était tout rouge, comme une tomate. Rien de mignon, c'était même plutôt dégoûtant. L'infirmière l'avait pris directement, reproduisant les rituels de naissance. Bizarrement, l'ambiance de la chambre d'hôpital n'était pas en cohérence avec le grand événement qu'était le miracle de la naissance. Il n'y avait ni sourires, ni larmes de joie. Un lourd silence à la place. En réalité, la famille Skarsgård n'avait pas le coeur à la fête, elle n'avait le coeur à rien.

On en parlait dans tous les journaux locaux, c'était la seule animation du coin, le seul élément perturbateur dans ce village calme. Un corps avait été retrouvé dans le lac qui séparait la zone pavillonnaire de la forêt. Le corps du petit Alexander Skarsgård . Ils l'avaient retrouvé il y a quelques jours, sans vie. Personne ne connaissait la raison de la mort, personne ne comprenait. Les habitants étaient choqués, qu'elle idée de laisser son enfant seul près du lac, quel malheur, pauvres Skarsgård. La vie de cette famille s'était stoppée à la seconde où on était venu le leur annoncer. Tout s'était effondré autour d'eux, il ne restait plus rien. Perdre un enfant était la chose la plus douloureuse qu'il puisse exister. La culpabilité les rongeait, c'était un cauchemar, un simple cauchemar.

Avant le drame, la famille était plus qu'impatiente d'accueillir Bill, surtout Alexander, qui voulait absolument jouer aux billes avec son petit frère. Maintenant, ils n'avaient que leur fils aîné en tête, ses sourires, ses rires, son odeur, ses bêtises. Bill ne le remplacerait jamais.

L'infirmière était revenue avec le nourrisson, pour que la mère puisse le prendre dans ses bras, mais celle-ci refusa catégoriquement. Elle ne voulait pas le câliner, elle ne voulait pas le toucher, il n'était pas Alexander. Stellan, le père, était assis sur la chaise disposée à côté du lit d'hôpital, son regard était éteint, il fixait droit devant lui. Il n'entendit pas la sage femme l'appeler, souhaitant lui tendre l'enfant qu'elle portait. Son enfant. Personne dans la salle ne semblait s'en préoccuper, alors elle s'en alla, disant qu'elle repasserait. Comment était-ce possible de rejeter son enfant ? Le petit Bill fut pris en charge à la maternité, on lui enfila un ensemble bleu, il dormait dans un des nombreux berceaux. La nouvelle se répandit vite dans le village, le petit nouveau de la famille du lac venait de naître, les pauvres, cela doit être tellement difficile, je n'arrive même pas à imaginer cette souffrance, les voisins étaient pleins de fausse pitié, tant que cela ne les concernait pas, leur vie continuait, c'était triste mais c'était comme ça. Il y avait des fleurs devant la porte des Skarsgård, des paniers remplis de friandises, comme si cela atténuait la douleur. Comme si cela aidait à surmonter la mort d'un proche.

Le retour à la maison avait été compliqué pour le couple. Ne plus avoir la présence de leur cher et tendre fils dans la maison était insoutenable. La mère n'avait toujours pas cajoler son nouveau né, elle l'avait directement confié à la gouvernante. Initialement, ce bébé aurait dû être adopté mais l'église ne l'avait pas autorisé. C'était un péché que d'abandonner sa progéniture, c'était très mal vu et dans ce petit village suédois, tout se savait. C'est dans l'ignorance totale de ses parents que Bill vécu ses premiers mois.

Était-ce le silence constant ? Le manque de considération ou bien d'affection ? En tout cas, à deux ans, Bill n'était toujours pas capable de prononcer un mot. Il était nourri très vulgairement par la troisième gouvernante qui avait succédé les deux précédentes. Les Skarsgård étaient devenus des personnes froides et totalement fermées. Le temps des petites augmentations de salaire, des jours de repos rémunérés ou des pots de confiture affectueusement préparés par Madame était révolu, c'était l'une des raisons pour lesquelles les gouvernantes avaient quitté leur poste. Plus un sourire, plus une parole aimable, un accueil toujours glacial et cette manie de laisser ce pauvre enfant seul qui n'avait pas le droit de toucher aux jouets de son défunt frère mais qui n'en avait pas d'autres. Deux autres gouvernantes avaient connu l'expérience de travailler pour cette famille avant qu'une énième ne se présente pour reprendre le poste. Elle s'appelait Ilda, elle avait de beaux cheveux blonds et des yeux bleus transperçant et un sourire qui ferait craquer n'importe qui. Elle avait trente deux ans et avait besoin de ce travail pour financer son pèlerinage. Malgré l'accueil austère de ce couple, Ilda était totalement tombé sous le charme du petit Skarsgård qui avait maintenant trois ans. Ce fut elle qui lui apprit ses premiers mots et qui lui accorda de l'attention. Elle lui avait offert quelques jouets et quelques vêtements, c'était un luxe pour cet enfant. Dans le couvent où elle avait grandi, on lui avait toujours appris à donner à son prochain et à partager. Tout se passa bien jusqu'à ce que Stellan ne la licencie pour faute professionnelle. Qu'elle était donc cette faute ? Elle était trop proche du petit, ce n'était pas saint et en aucun cas le travail qui était demandé. Alors Bill se retrouva de nouveau seul. Ilda fut la dernière gouvernante de la maison, aucune femme ne vint la remplacer. My Skarsgård n'eut d'autre choix que de s'occuper de son fils, pourtant elle n'agissait pas en tant que mère. D'ailleurs, elle lui interdisait formellement de l'appeler ainsi. Il n'avait pas le droit de la câliner et devait l'appeler Madame. Cette pauvre femme ne voulait aucun lien maternel avec cet enfant qu'elle n'arrivait pas à considérer comme son fils. Stellan se tuait au travail, ça avait toujours été comme ça. Il était banquier dans la banque la plus proche du village qui était situé à plusieurs kilomètres de ce dernier. Bill passait ses journées dans sa chambre, il n'avait que quatre ans. Son seul jouet était une poupée de chiffon poussiéreuse, il avait du mal à comprendre pourquoi sa seule amie ne venait plus le voir, Ilda. Alors il s'était mis à parler avec cette poupée. Il parlait de Madame, de Monsieur. Il s'amusait avec elle et tentait de jouer à cache-cache comme il faisait avant avec son amie mais ce n'était jamais concluant.

Les années passaient, Bill était toujours plongé dans cette solitude qui lui paraissait normal. Il avait maintenant six ans et ne savait pas quel était le jour de son anniversaire. Pourtant, il connaissait celui de son grand frère qu'il n'avait jamais rencontré. D'ailleurs, il en rêvait, de pouvoir le voir, de jouer avec lui. Avoir un ami serait génial. Il avait bien Mirtha, sa poupée, mais ce n'était pas aussi excitant que d'avoir un vrai ami. Aujourd'hui, Monsieur Skarsgård n'était pas au travail, il lisait son journal, installé sur le fauteuil du grand salon, Madame était occupée en cuisine. Bill tenta une approche vers son père qui venait d'allumer un cigare qui embaumait la pièce d'une odeur désagréable.

"- Monsieur ? Est-ce que vous pourriez me lire une histoire ?"

Questionna le petit. Il avait la moitié de son corps frêle derrière la porte, seul son visage innocent était exposé aux yeux sans pitié de l'homme. D'ailleurs, celui-ci ne prit même pas la peine de lever le regard de son journal. Il expira l'épaisse fumée de son cigare puis soupira lassement.

"- Déguerpis, je n'ai pas de temps pour toi."

Sa voix grave fit frissonner de peur le jeune garçon alors qu'il se dirigeait tristement vers la cuisine. Madame était occupée aux fourneaux. Elle aimait mettre de son temps dans la cuisine, cela lui permettait de canaliser ses pensées.

"- Madame ? Pourrais-je vous aider à cuisiner ?"

Il questionna timidement. Elle fit claquer bruyamment sa main sur le plan de travail en se tournant vers Bill, l'air grave.

"- Combien de fois faudra-t-il que je te le dise ? Tu n'as rien à faire dans cette cuisine, vas-t-en !"

Elle cria de sa voix cristalline, il baissa la tête et reparti bredouille. Il se réfugia dans sa chambre et s'assit au centre de celle-ci. Il commença à s'adresser à sa poupée. Il lui raconta ce qu'il venait de se passer. Soudainement, le petit garçon entendit une voix d'abord lointaine. Des murmures. Puis, plus il se concentra sur ce léger son, plus celui-ci devint de plus en plus clair.

"- Je sais ce que tu ressens."

Bill fronça les sourcils en regardant attentivement son jouet mais cela ne provenait pas de Mirtha.

"- Moi aussi je suis seul. J'aimerais avoir un ami."

Les yeux du petit se mirent à scintiller, un ami ? Enfin ? Ce dont il rêvait depuis toujours. Il regarda partout autour de lui pour trouver cette voix qu'il affectionnait déjà.

"- Qui es-tu ?"

Il questionna timidement, la voix débordante d'espoir. Son interlocuteur avait la voix masculine, il semblait donc être un petit garçon, il n'en n'avait jamais connu encore ! C'était incroyable. Finalement, il distingua à peine une forme au fond de la chambre avant que cette image floue ne devienne plus nette. Il y avait un drôle de personnage devant lui. Il était grand, une silhouette élancée avec de longs bras. Ses cheveux étaient d'un rouge délavé qui avaient une drôle de forme, une petite houppette sur le haut de la tête et tirés des deux côtés de sa tête en pointe, ce qui agrandissait la forme de celle-ci. Il avait le visage blanc, comme si on lui avait peint dessus et deux lignes rouges qui partaient respectivement au dessus de ses sourcils jusqu'aux commissures de sa bouche qui était tirée en un sourire joueur. Le bout de son nez était recouvert de ce même rouge et il portait un ensemble blanc avec des pompons rouges. Sa tenue ressemblait à celle d'une femme du seizième siècle, il avait une grosse collerette blanche et les manches bombées. Il portait également ces grandes chaussures qui agrandissaient ses pieds avec au bout un énième pompon rouge. C'était un clown. Bill en avait déjà vu un dans un des livres d'une des dames qui s'occupait de lui avant. Celui-ci était rigolo et il était son ami. Il apercevait ses yeux oranges de là où il était et il devint tout d'un coup curieux. Le sourire du clown s'élargit alors qu'il tenait par un fil un ballon de baudruche rouge qui s'élevait vers le plafond. Le jeune Skarsgård était émerveillé.

"- Je suis Pennywise mais on m'appelle Penny. Et toi, qui es-tu ?"

"- Je m'appelle Bill Skarsgård. Enchanté, Penny."

Nice to meet you, Penny.Όπου ζουν οι ιστορίες. Ανακάλυψε τώρα