Le Couteau ou la Corde ?

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Héritage de ma grand-mère, qui s'était elle même suicidée après l'avoir mis à mon nom sur le testament (c'est vous dire si cette femme m'aimait), je savais qu'il me servirais un jour pour couper autre chose que de la viande achetée en promo à Lidl ou les boulettes pour chien quand la viande devenait trop chère (adaptation, adaptation... je tiens cela de ma grand-mère, aussi). Le couteau présentait un avantage non négligeable : la rapidité. Je n'avait qu' à bien viser, et le tour était joué. Cependant, j'avais un désavantage non négligeable : j'étais une brelle et j'allais certainement rater mon coup, et me faire vraiment très mal pour rien. L'eau n'étant plus disponible, je n'avais aucun moyen de me faire une saignée dans le bain pour accélérer le processus. Ô, destin, quand tu t'acharnes !

Désemparé, perdu, je me résiliai et me laissai glisser dans le fauteuil qui devait être saisi le lendemain. 

- Tout ça pour ça... pensais-je. En plus d'avoir une vie de merde, je suis condamné à la vivre entièrement, repris-je à haute voix. Bon, reste plus qu'à continuer à chercher des petits boulots. Avec un peu de chance, McDo embauche... Je les appellerai demain...

Soudain, une idée jaillit dans mon esprit : il suffisait d'appeler quelqu'un pour me dire comment me suicider. SOS suicide était le candidat parfait pour cela. Je saisis donc mon téléphone, et cherchai le numéro sur Internet. Celui-ci trouvé et composé, j'appelai et attendit quelques instants. On décrocha alors :

- Bonsoir, Pierre de SOS suicide à l'appareil, annonça-t-il d'une voix monotone et plate. Comment puis-je vous aider ?

- Bonsoir Pierre. Je suis désolé de vous déranger mais j'ai une petite question à vous poser : pour un suicide, vous pencheriez pour la corde ou le couteau ?

- Vous vous fichez de moi ? demanda-t-il. Je suis ici pour aider les vrais suicidaires, les aider à sortir de leurs mauvaises passes, donc vos canulars à la con j'en ai ras-le-cul. Laissez moi bosser. Il est tard, j'ai pas le temps pour vos conneries, dit-il, énervé. Déjà que les trouducs qui veulent se flinguer pour un oui pour un nom me font bien chier, j'ai pas envie en plus de m'emmerder avec des mongols qui font des blagues de merde ! 

- Je suis totalement sérieux, dis-je. Je veux réellement en finir, et je vous appelais justement parce que vous en entendez, des gens qui veulent se tuer. Donc, donnez-moi votre parole d'expert : corde ou couteau ?

- Non mais c'est qu'en plus il continue ! Tu me prends vraiment pour un con, c'est ça ?

- Ecoutez, j'en peux plus. Ma vie est nulle à chier, j'ai pas d'amis, pas de copine, pas de...

- FERME TA GUEULE ! hurla-t-il. J'en ai marre, de ce numéro de merde, de "ma vie est nulle, je sais plus quoi faire, et j'ai personne, et j'veux mourir..." Déjà que quand c'est un vrai suicidaire qui me le fait, ça me fout les boules mais à mort, alors en plus quand c'est des connards dans ton genre... Aaaarh ! Si c'est pour pleurer sur ta vie de chiotte, va voir un psy et fais pas chier les honnêtes gens, qui veulent juste bosser et réconforter les dépressifs de merde qui me pourrissent la vie putain !! 

Le type raccrocha d'un coup. 

J'étais très déçu, d'une part par son manque de professionnalisme, d'une autre part parce que je n'avais toujours aucun renseignements sur la manière dont je devais me suicider. Vraiment très déçu...

Je me levai du fauteuil et m'en allai vers la fenêtre . Je l'ouvris, histoire de profiter de l'air frais de la nuit. Le bleu sombre du ciel contrastait avec la lumière qui partait de la ville, si forte qu'elle remplaçait presque les étoiles, masquées par les nuages. Mon regard se promenait de balcons en balcons, dans les rues, sur les voitures, sur les quelques clodos toxicomanes qui venaient de sombrer dans le doux sommeil du junkie. Ah, que cette ville me paraissait immonde. Parfaite pour moi, finalement. Je suis né dans la crasse de ces rues, et y mourrai... Et y mourrai... Et y mourrai... 

Une idée me vint à l'esprit. 15ème étage... 

Cette idée n'a pas eu le temps de monter qu' à peine je tombai. J'avais pris appui sur le rebord de la fenêtre, et m'étais élancé dans le vide, dans l'ombre, tel un Batman en carton. Couteau ou Corde ? J'avais triché. J'avais outrepassé les règles que je m'étais moi-même fixé en choisissant le chemin de traverse, le troisième solution : la défenestration. Moi qui aimait Mike Brant, c'était peut-être un choix inconscient. 

L'air froid, autour de moi, semblait amortir ma chute, lutter pour m'arrêter. Semblait, seulement, puisque ce qui a arrêté ma chute était une vieille dame qui passait à une heure qui n'était pas du tout adaptée à cette personne. Elle n'était pas à sa place. Le destin l'a punie, et je l'y ai aidé. Nous sommes morts tous deux, sur le coup (en l'occurrence sur la tête, pour moi).

J'ai été enterré en petit comité : il n'y avait personne. Seul le prêtre et les employés de l'agence mortuaire. L'homme d'église ne s'est même pas donné la peine de prononcer un discours, un message, ou même lire un petit mot déposé sur un post-it. Non, il a juste fait un signe de croix puis s'en est allé, sûrement trop pressé de rejoindre le petit Timothée, 10 ans, enfant de chœur. 

Comment je sais cela ? Et bien c'est simple : je suis au paradis, maintenant. On m'a fait le tarif "vie à chier du sang", un tarif spécial pour les gens ayant eu une vie aussi terrible que la mienne : on vous promouvoie ange directement, on vous attribue une maison rien que pour vous, et tous les mannequins morts sont à votre disposition (merci d'avoir tué ta femme, Oscar, ça me cassais les pieds la pensée d'être toujours seul au paradis. M'enfin t'es en prison, maintenant, tu dois t'en faire une belle jambe).


Fin. 

Le Couteau ou la cordeWhere stories live. Discover now