Chapitre 5 : Zombies

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Avertissements : Ce texte contient de la violence physique et mentionne le harcèlement scolaire


Après une heure de doute et de suspicion, Hugo finit par s'approcher du matelas de Carole. D'un geste dramatique, sans prévenir, il arracha le drap qui la recouvrait. Apparut une femme visiblement malade, les yeux brillants, couverte de sueur. Elle tenait son avant-bras gauche avec insistance, et refusait de le lâcher malgré les tentatives de l'infirmier de remonter sa manche. Tout le monde s'était rassemblé autour d'elle, même les trois personnes qui montaient la garde se rapprochaient.

Elizabeth s'avança et maintint l'autre bras de sa psychiatre. Elle tenait assez fort pour lui faire mal. Ses doigts allaient laisser des hématomes. Elle l'immobilisait comme elle avait été immobilisée. Presque triomphalement, elle obligea Mme Nevière à enlever sa main de son bras gauche. Hugo remonta sa manche d'un geste sec, et ils purent tous voir la laideur du mensonge de la psychiatre.

C'était une plaie sanguinolente, boursouflée, purulente, une marque de morsure infectée qu'elle portait sur son bras. Aaricia fut la première à se boucher le nez. A découvert, il émanait du bras de la psychiatre une odeur de pourriture, pas très forte, mais bien présente.

Les visages des autres campeurs allaient de l'horreur à la colère, en passant par la résignation, et même à la compassion pour certains. Aaricia entendit à côté d'elle les bruits caractéristiques d'un début d'attaque de panique. Elle se tourna vers Rémi, qui respirait difficilement, par saccades. Son corps était rigide, et ses yeux bougeaient très rapidement, fixant successivement tous les points de la pièce. Elle le fit asseoir tandis qu'il murmurait des mots qu'il ne liait pas correctement ensemble. « Je croyais... la paranoïa... tous mourir... » Aaricia était la plus jeune, elle avait seize ans, mais elle était la seule à ne pas avoir reculé. Rémi avait attrapé ses mains et ne les avait pas lâchées. Il tremblait et claquait des dents.

Tous deux était assis sur le sol, face à face, et le visage d'Aaricia n'exprimait rien d'autre que de la bienveillance. Elle était malheureusement la seule, ce qui la mit très en colère. Les regards que les autres jetaient étaient pratiquement les mêmes qu'à la révélation de l'infection de leur psychiatre. Être passive-agressive aurait été un très bon outil à ce moment-là, si elle avait eu la moindre idée de comment l'utiliser. Au lieu de ça, elle fut franche comme un coup de couteau :

— Vous êtes dégueulasses. Vous aussi, vous êtes malades, mais la schizophrénie, ça vous fait aussi peur que les zombies.

Elle vit une émotion ambiguë sur les visages de Fabrice et d'Elizabeth. De la culpabilité ? Elle n'était pas sûre de bien décrypter. Elle vit les autres se regarder d'un air gêné. La même expression que celle des camarades de classe qui l'avaient laissée se faire harceler, au collège et au lycée. Ce n'était pas leur problème.

Quand Rémi se fut calmé, il fallut faire un plan. La situation Nevière était très dangereuse. Aaricia s'excusa et partit aux toilettes. Elle se souvenait de son hospitalisation. Elle avait fait une crise à l'école, le genre de crise d'angoisse qui amenait typiquement ses camarades blancs à l'infirmerie, mais qui l'avait envoyée... ici. Elle ne savait même pas ce qu'elle avait. Toujours l'impression d'être différente des autres, toujours punie pour rien, et ces crises de larmes incontrôlables qui lui faisaient faire de grands mouvements, depuis l'adolescence. Ses parents qui la laissaient pourrir ici parce qu'elle n'était pas l'enfant qu'ils voulaient, et la psychiatre qui refusait de lui donner son diagnostic. Les regards adressés à Rémi, elle les connaissait. C'étaient les regards de son père, et ceux de ses professeurs. Et elle pleura, parce que les sanglots chauds gonflaient dans sa gorge, et qu'elle avait toujours eu la larme facile.

***

Ils s'étaient disputés une grande partie de la nuit, avaient dormi quelques heures et, dès le réveil, ils avaient recommencé. Les micro-groupes d'opinions se faisaient et se défaisaient, et rien n'avait avancé. Rémi et Adeline, qui supportaient mal les éclats de voix, s'étaient retranchés à l'écart. Rémi comptait les carreaux de mosaïque sur le mur pour se rassurer, et Adeline appliquait du désinfectant sur ses mains. Encore. Si jamais elle s'était faite infecter sans avoir été mordue ? Ce n'était probablement pas arrivé. Mais probablement n'était pas un mot suffisant. Elle passa à la crème hydratante. Sinon ses mains allaient s'assécher et être vulnérables. Est-ce qu'elle était vraiment assez propre ?

— Non, cria Elizabeth. Je vais pas gentiment attendre qu'elle meure pour voir si elle se transforme ou pas, si elle nous mord ou pas. Je tiens à ma vie. Si vous faites ça, je me casse toute seule !

— On prendra ma voiture, je viens avec toi, lui lança Benoît, qui dissimulait mal l'espoir et l'excitation dans sa voix.

Liz prit un air dégoûté.

— Plutôt me faire mordre par un zombie !

Quelque chose brilla dans les yeux de Benoît. Une sorte de défi. Il esquissa un rictus qui voulait dire : « c'est pas ce que tu disais hier soir », et il attrapa le poignet d'Elizabeth pour le serrer très fort. Imprimer sa supériorité dans sa peau. Elle le regarda avec dans les yeux une vague terreur qu'elle-même ne comprenait pas encore, mais il y avait aussi quelque chose d'autre. Quelque chose qui la fit déglutir avec peine lorsqu'il la laissa retirer son bras endolori. Elle allait accepter de partir seule avec lui. Elle allait le laisser lui faire ce qu'il voulait. Et peut-être, peut-être, qu'il ne l'abandonnerait plus jamais. C'est alors qu'ils entendirent le premier râle.

Tout le monde se tourna vers Mme Nevière, toujours malade, sauf Aaricia, qui bondit vers la fenêtre. Ils étaient là, sur le parking, avançant vers les portes de l'hôpital. Une bande de cinq zombies qui avaient dû se perdre dans la nature. Tout leur corps ressemblait à la plaie de Carole. Ils venait dans leur direction gauchement, les bras le long du corps et les épaules en avant, mais ils n'avaient pas l'air d'avoir remarqué les petites figures qui les observaient depuis la fenêtre du deuxième étage. Ils atteignirent le parking et s'avancèrent vers les trois seules voitures garées là.

— Qu'est-ce qu'on fait maintenant ? murmura Elizabeth.

— Peut-être qu'ils vont partir, chuchota Hugo.

Ils avaient collectivement baissé la voix, sans que personne ne l'ait décidé. L'espoir d'être en sécurité à l'intérieur les rendait très prudents. Enfin, tous sauf un.

— EH ! MA VOITURE !!

Le poing de Benoît s'écrasa très fort contre la vitre. Il y eut une demi-seconde de choc qui immobilisa les vivants comme les morts. Peut-être que les zombies n'avaient pas entendu ? Cette prière fut de courte durée. Les cinq pantins purulents levèrent les yeux, les virent, et se dirigèrent vers la porte aussi vite qu'ils le purent. C'est-à-dire pas très rapidement. Mais pour les humains, cela sembla être à la vitesse de la lumière. Pendant que la plupart d'entre eux tentait de trouver une solution, Fabrice avait lui aussi levé le poing.

Il l'abattit à pleine vitesse dans la figure de Benoît. Bang ! Le premier coup des zombies contre la porte d'entrée. Carole râla : « elle va tenir bon... » Le poing retomba pour la deuxième fois. « C'est pas possible d'être amoureux comme ça de sa bagnole ! » Bang ! « Elle est très solide », plaida la menteuse. Cette fois-ci, du sang revint avec la main serrée de Fabrice lorsqu'il la remonta pour mieux frapper encore. Benoît se mit à gémir. Cling ! Le bruit de verre cassé deux étages plus bas les remplit d'effroi. Ce fut Violette, qui avait pourtant très peu intervenu depuis le début de leur aventure forcée, qui attrapa Fabrice par les épaules et se mit à le secouer. Elle était plus grande et plus forte que lui, et criait « Arrête ! Arrête ! » au rythme des coups de boutoir des zombies, deux étages plus bas.

Epuisé, Fabrice s'assit sur le sol en se tenant les côtes. Sa respiration sifflait. « Asthme à l'effort », leur indiqua-t-il. Benoît essuyait son nez, qui saignait, et Elizabeth lui tendit un mouchoir machinalement. Un calme de plomb était tombé sur le groupe, ponctué par les gémissements de Mme Nevière. Les zombies n'essayaient plus d'entrer. Peut-être avaient-ils enfin oublié leur présence ?

BAM !La porte et leur espoir s'effondrèrent.    

Des Fous échappés d'un asileWhere stories live. Discover now