Day one.

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« Au plus profond de l'hiver, j'ai finalement appris qu'à l'intérieur de moi existe un été invincible. » — Albert Camus.

5 mois plus tôt
29 novembre 2017.
13h30.

J'aimerai dire que le bonheur est présent dans chaque petites choses que la vie nous réserve. J'aimerai dire qu'elle est un cadeau, un don du ciel et que chaque obstacles qui se dressent sur notre route n'est qu'un coup du destin. J'aimerai dire qu'il s'agit simplement d'épreuves destinées à nous rendre plus forts. J'aimerai dire que nous sommes des êtres invincibles peu importe les difficultés, les pertes, les maux que nous devons endurer et par dessus tout, qu'il faut toujours garder espoir. J'aimerai le dire. Sincèrement et de tout mon coeur mais ça ferait de moi quelqu'un de malhonnête.

Parce que j'assure qu'à la minute où je déambule dans ces longs couloirs aux couleurs monotones – parfois plus vives – qui se ressemblent tous, je ne suis absolument pas dans cet état d'esprit. Je ne sais pas à quel moment ça a dérapé ; ni comment tout a commencé. Je ne sais pas à quel instant le monde qui me paraissait si beau est devenu aussi gris, terne et sans intérêt. Je ne sais pas non plus à quel moment je me suis mise à me haïr à ce point. Je sais simplement que cela s'est produit. C'est arrivé. Et, maintenant, je suis ici. Dans cet endroit rempli de gens malades ; où la mort rôde à chaque recoins ; dans ce service où tous les êtres humains que je croise sont aussi dépravés que je le suis. A la minute où je franchis ces grandes portes de verres, je n'ai absolument pas le goût d'espoir ni même le courage de prétendre que tout va bien. Je me contente juste d'avancer, en silence et de sourire quand il le faut. J'écoute de temps à autre la conversations, le rire de Mathias, les questions de maman sans grande conviction. J'ai l'impression de ne plus être présente dans mon corps quand le désinfectant me brûle si fort les narines et me soulève le coeur à tel point que j'aurais envie de vomir. Je prends l'ascenseur. J'attends. Puis, je regarde les numéros sur les panneaux d'affichage gris. Je mémorise. J'attends. Je percute lorsqu'on me dit :

– Mademoiselle Grant ? Chambre 3213.

Je ne dis rien non plus quand je constate le grincement horripilant que cette énorme porte kaki fait quand on l'ouvre ni quand je constate la singularité de ce qui sera mon lieu de vie durant les semaines à venir. La seule chose dont je prends réellement conscience ce sont les battements effrénés de mon myocarde, mon estomac qui se serre et ce poids qui s'abat sur ma cage thoracique. Je reste stoïque. Mes orbes se baladent sur les deux lits médicaux identiques, l'affreux rideau jaune, maman qui s'adonne à ranger mes vêtements le plus vite possible. Nous discutons toute les deux. Je sais qu'il s'agit d'une diversion, une tactique pour me faire oublier. Ça marche juste quelques secondes. Parce que la réalité ne me frappe toujours pas.

Je demeure muette quand la petite blonde rondelette en blouse blanche revient dans la pièce et me prévient que je dois subir un examen, une sorte de questionnaire. J'entends maman et l'infirmière me parler.

– L'anamnèse ne dure qu'une demi-heure. Vous pouvez boire un café en bas en patientant et revenir près d'elle.

Je sais qu'elle se serait sûrement attendu à ce que maman reste avec moi, qu'elle me soutienne avec sa présence mais quand je rencontre sa paire d'yeux bleues, je vois la lueur s'estomper.

– Et si je revenais plus tard ? Tu sais que Mathias va être difficile si je reste.

– Comme tu veux. Les visites sont de 14 heures à 20 heures. Répondé-je, la gorge enrouée de m'être tue si longtemps.

Je souris à ce petit blond aux yeux gris clairs. Son visage de bébé innocent ferait fondre un coeur de glace. Je l'aime tellement.

Et je ne dis plus rien. Parce que quand nos yeux s'accrochent – nous avons les mêmes – je sens le poids du monde s'effondrer sur mes épaules, ma gorge se serrer et une déception amère qui tente de percer ma coquille. Elle ne va pas revenir. Et pourtant, je l'espère. Je marche, appuyée sur cette béquille rouge. Rectification, je m'y accroche. Je m'y soutiens pour éviter de me laisser tomber sur ce sol stérile. J'aimerai dire qu'il faut garder espoir en toutes circonstances mais en arrivant ici, je l'avais déjà perdu. Maintenant ? Je suis incapable de comprendre ce que je ressens. C'est impossible. Cette sensation indescriptible que mon âme a quitté mon enveloppe charnelle est omniprésente quand je foule le carrelage de mes pieds – rythmée par le bruit de ma canne, quand je me retrouve en face de cette brune âgée et de cette asiatique au sourire colgate si imposant que j'aurais envie de lui arracher les dents.

Je ne pense à rien. C'est vide. C'est terriblement creux et encore plus quand je regarde maman s'en aller, tenant Mathias par la main. Sa phrase résonne dans mon esprit et au fond de la noirceur, je comprends que c'est la dernière qu'elle m'adresse avant un bon moment.

– A plus tard, chérie.

Quelques petits mots et pourtant, ils prennent tellement d'ampleur que je me force à afficher ce rictus qui me donne mal aux joues. Je la regarde partir, devenir un point abstrait alors que ma voix se fait légèrement entendre avant de mourir dans un souffle. 

– Au revoir maman. Je t'aime. Je vous aimes.

Je me suis encore attendue à plus de sa part qu'elle ne pouvait m'en fournir. Je voulais plus de soutien, plus d'amour, pour me donner le courage de me battre contre cette dépression qui me ronge mais c'était bien trop dur pour elle.

Le rideau se referme. Les applaudissements du public pourraient fuser à cette minute. Elle a terminée son numéro. Elle vient de jouer le plus grand rôle de sa vie, la mère aimante. Et, elle ne m'a même pas entendu. Non, je ne sais pas comment tout ceci est arrivé. Par contre, je sais à cause de qui.

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⏰ Last updated: Jan 17, 2023 ⏰

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