Chapitre 1 : Sans racines

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Blue regardait passer les lumières de la ville au loin. La voiture avait quitté l'autoroute depuis un moment déjà et s'enfonçait dans les rues de la classe moyenne supérieure. Les maisons se suivaient et se ressemblaient. C'est dans l'une d'entre elles qu'il vivrait auprès de sa nouvelle famille d'accueil, tout du moins pour un moment.

Il avait seize ans et chacun de ses anniversaires le rapprochait du moment où les services sociaux le mettraient dehors. Mais bizarrement, il avait hâte. Après tout ce n'était pas comme s'il ne pouvait pas se débrouiller. En effet, même s'il jouait bien la comédie, Blue savait qu'il n'était pas un humain ordinaire, voire pas un humain du tout. Depuis qu'à cinq ans il avait brisé la mâchoire de Charlie Evans pour avoir osé usurper son tour de balançoire, il savait qu'il avait été plus fort qu'il n'était sensé l'être. Depuis lors cacher ses atouts surhumains étaient le fardeau qu'il devait bien sûr cacher au monde entier.

Tout cela rendait ses origines encore plus mystérieuses. Blue avait "non officiellement" consulté son dossier, qui ne mentionnait que le fait qu'il avait été trouvé à l'état de nourrisson.  Il n'avait jamais su ni où, ni pourquoi, ni même par qui il avait été abandonné. Il avait imaginé les histoire les plus improbables quand à sa condition : expérience militaire, intervention divine, mutations génétiques... Mais la vérité lui avait été dénié par la simple inefficacité d'une bureaucratie négligente.

La voiture s'arrêta enfin et Blue analysa rapidement la maison et son jardin : deux parents actifs et bien payés, deux enfants dont au moins une fille et un chien. Pas de bébés, heureusement, il n'aimait pas les bébés.

Blue avait été envoyé dans des foyers bien pires que celui-ci. Cette fois il avait été déplacé à cause d'une altercation au cours de laquelle il avait brisé l'une des rotules de son père d'accueil, pour qu'il arrête de frapper les autres enfants placés avec lui. Blue sourit en y repensant : C'était finalement plutôt facile à casser un humain, il n'avait même pas eu à forcer.
-Pas d'incidents cette fois, hein Blue, fit l'assistant social.

Blue hocha la tête en faisant bien attention de ne rien promettre... Mais s'ils étaient corrects, il le serait aussi. Même s'il devrait se passer les nerfs ailleurs.
-Allons-y, il est déjà tard.

Blue étira ses jambes engourdies par la longue route et descendit de voiture. Il remonta la charmante petite allée entourée d'herbe impeccablement tondue où trônaient des jouets canins mâchouillés. Son accompagnateur sonna à la porte et Blue retint son souffle. C'était l'heure de vérité.

C'est une mère de famille en robe de chambre qui leur ouvrit la porte, son air sympathique laissa à penser que tout allait bien se passer pour Blue.
-Bonsoir, salua la maîtresse de maison. Et tu dois être Blue, je m'appelle Jeannie, on t'attendait avec impatience.
-Bonsoir madame, désolé pour notre retard, la route était encombrée. Heureusement que le jeune Blue n'a pas souhaité prendre de pause repas ce midi. Sinon nous serions sûrement toujours sur l'autoroute.
-Et bien mon garçon, répondit la femme, tu dois être mort de faim. Rentre donc, mon mari va réchauffer ton assiette.
-Merci, répondit simplement l'intéressé en se disant que manger ne pouvait pas lui faire de mal.

Il entra dans la maison pendant que Jeannie s'occupait des papiers nécessaires à son transfert de garde. Il avait à peine fait un pas dans l'entrée qu'un énorme Golden Retrievers lui sauta dessus et commença à lui lécher le visage.
-Gentil mais collant celui-là, pensa t'il.

Blue émit un puissant grognement et le chien, intimidé, s'assit et donna la patte. Blue soupira en se disant que ce tour serait bien pratique sur les humains... Ou juste les chats, il n'aimait pas les chats.
-Je vois que tu as rencontré Rex, fit un homme bedonnant qui devait être le père de famille, en sortant du salon. Moi, c'est Georges, attend une seconde.

Alors que Blue retenait à grand peine un commentaire sur l'originalité du nom de l'animal, Georges prit une grande inspiration et hurla de toute la force de son coffre imposant.
-Les filles ! Notre invité est là ! Venez dire bonjour !

Blue profita de l'attente pour détailler la maison alors que Rex attendait toujours patiemment à ses pieds : Les lieux étaient impeccables, même avec ses yeux perçants, il ne pouvait distinguer un grain de poussière sur les surfaces accessibles. La décoration était sobre et élégante, très au goût de Blue qui se disait qu'il allait sûrement bien se plaire ici.

Tandis qu'il était en pleine observation, les deux filles de la famille descendirent les escaliers. L'une était jeune, dans les onze ans et l'autre devait avoir à peu près son âge, voire un peu plus.
-Je te présente Lucie, fit George en désignant la plus jeune. Et voilà... -Moi c'est Léa ! S'empressa de dire l'intéressée en coupant son père.

Elle tendit la main vers Blue qui comprenait alors qu'elle allait lui rendre la vie impossible... Et qu'elle était en train de le dévisager comme si elle allait le dévorer. Cette fille allait clairement lui poser problème.
-Blue, Blue Jamian. Fit Blue en lui serrant la main.
-Mais il parle ! Il parle ! S'écria George hilare.

Blue avait toujours su qu'il devrait un jour ou l'autre affronter le si célèbre humour paternel.

George batailla avec les filles pour qu'elles retournent faire leurs devoirs alors que Jeannie amenait Blue à son assiette : steak haché et petits légumes. Il mangea rapidement dans la cuisine, si briquée qu'elle étincelait comme un modèle d'exposition d'un magasin de mobilier, pendant que les parents le bombardaient de questions. Blue en évitait la plupart et, s'il y était contraint, y répondait avec le moins de détails possible. Après tout ils venaient juste de se rencontrer et il ne pensait pas que son passé soit leur affaire.

Finalement l'interrogatoire prit fin ainsi que son dîner et Blue découvrit sa chambre à l'étage... Où Léa l'attendait sur le lit. La jeune fille s'était endormie pendant qu'il mangeait.
-Et je fais comment moi maintenant, se demanda Blue à voix basse. Je la dégage ? Qu'est-ce que je pourrais faire d'autre remarque...

    Il soupira puis lui secoua l'épaule.
-Hey ? Ça va ? J'avais cru comprendre que c'était ma chambre ici, fit il en feignant l'étonnement.
-Hmm, fit Léa en s'étirant. Ça pourrait être notre chambre pour ce soir ? Qu'on discute un peu pour faire connaissance.
-Heu, non.
-Non ? Comment ça non ?
-Non, j'ai la flemme, je vais me coucher.
-Je peux dormir avec toi, insista-t-elle alors que Blue levait les yeux au ciel.
-Non, je vais dormir... Demain peut être, céda Blue qui ne feignait pas la fatigue.
-D'accord, à demain alors, baillât Léa en sortant.

Maintenant qu'il était enfin seul, il détailla sa chambre : pas très grande mais bien aménagée, les murs étaient blanc cassé et le sol était couvert d'un parquet de bois clair. La pièce était éclairée par une sorte de lumière blanche intégrée au plafond. Ses deux fenêtres étaient larges et donnaient sur l'arrière du jardin. Blue n'aurait aucun mal à passer par là pour aller en ballade. Il se déshabilla et se jeta sur le lit, trop fatigué pour partir explorer les environs.

C'est en appréhendant, encore une fois, son entrée au lycée que Blue s'endormit. -On verra demain, chuchota-t-il.

Blue JamianWhere stories live. Discover now