Chapitre 2

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Après une longue discussion avec Olivier, Élisabeth s'était retrouvée à envoyer un mail à cette fameuse Fabienne lui indiquant l'heure d'arrivée de son train. Elle avait décidé d'y aller sur la journée du samedi, en milieu d'après-midi afin de ne pas déranger les activités de la famille. Toute la semaine elle avait cogité sur le fait que ce ne soit pas une bonne idée, mais à chaque fois qu'elle avait voulu annuler, une petite voix, grave et lente, qu'elle avait associée à celle d'Ernest lui disait à quel point il serait déçu de ce comportement. Sa réticence s'était manifestée jusque sur le quai, mais elle avait réussi à prendre sur elle et à présent elle regardait le paysage se déformer sous ses yeux. Elle en avait pour 1 h 30.

Au début elle avait feuilleté un magasine de presse bien-être qu'elle avait acheté au Relay de la Gare du Nord, mais au bout de trois pages son esprit avait préféré la contemplation du paysage pour se laisser aller au souvenir. L'objectif de cet achat avait été d'empêcher son esprit de penser à ce qui l'attendait en arrivant et à Ernest. La dépense fut inutile puisqu'elle était en train de se rappeler comment tout cela avait commencé.

C'était un mauvais jour d'été, ceux dont la canicule vous étouffait et dont la foule vous agaçait. Élisabeth avait passé une journée passablement moyenne au travail et elle n'avait qu'une hâte, rentrer enfin chez elle pour prendre une bonne douche froide avant de se vautrer, glace en main, devant une série Netflix des plus idiotes pour se détendre. En rentrant, elle avait bataillé avec le digicode, s'était presque brûlée la main sur la porte d'entrée et avait jeté son courrier dans son sac avant de rentrer. L'énervement qui s'était collé à sa peau ne voulait pas disparaître, pas même après une bonne douche. Quand elle consulta son courrier ce fut la goûte d'eau qui fit déborder le vase.


— Géniale ! Que des factures et des pubs ! Quelle réjouissance...


Élisabeth jeta le tout sur son bureau et à la vue de son ordinateur une idée lui traversa l'esprit. Si elle voulait que la situation change, il fallait qu'elle fasse le premier pas. Quelques manœuvres plus tard et le choix au hasard d'un destinataire dans l'annuaire en ligne de la poste, elle envoyait une lettre à un certain Ernest Thomas. Elle n'avait aucune idée à qui elle allait s'adresser et si elle passerait pour une folle. Après un mois elle s'était faite à l'idée de ne pas recevoir de réponse. Après tout, elle avait simplement suivi une impulsion, rien ne lui garantissait un résultat. Mais quelle ne fut pas la surprise quand elle découvrit, six semaines plus tard, une lettre manuscrite dans son courrier. Depuis Ernest lui avait conté de nombreuses histoires de son passé et elle s'en émerveillait. En retour elle lui parlait longuement de ses lectures et des expositions qu'elle visitait.


— Mademoiselle ? Mademoiselle ?


C'est la voix douce, mais insistante du contrôleur qui la ramena doucement à la réalité. Il lui fallut quelques secondes pour comprendre ce qu'il se passait. Élisabeth s'empressa alors de tendre son ticket, qui lui servait de marque-page, à l'homme.


— Pardon, voilà.


Elle reporta son attention sur le paysage, ne remarquant pas le contrôleur qui déposait son billet sur la tablette avant d'aller voir le passager suivant. Ernest avait été un bonheur inattendu dans sa vie, mais aussi éphémère. Elle s'en rendait compte à présent ; c'était un papillon, de ceux que l'on ne cesse d'admirer pour leur beauté, mais qui à la fin du jour s'évanouissent dans la nature. Leur correspondance avait commencé en été et prenait fin l'année suivante. Comme une boucle de 24 heures.

Le gardien du phareKde žijí příběhy. Začni objevovat