Avonlea

1 - Le goût unique d'un baiser

- Anne ?

- Oui ?

La voix de la jeune fille provenait de la cuisine. Sur la pointe des pieds, elle tentait d'atteindre la dernière étagère du placard pour saisir une seconde tasse à thé ; sur le poêle, l'eau finissait de bouillir.

Marilla scruta encore le chemin menant aux Pignons Verts afin de ne pas se tromper sur l'identité du cavalier qui s'avançait vers le perron mais à quelques mètres du porche, il n'y avait guère de doute possible.

- Que vient faire Gilbert Blythe par ici ?

Un grand fracas de vaisselle brisée répondit.

La vieille fille se retourna brusquement, leur visiteur chassé de son esprit par l'urgence de la situation.

Dans la cuisine, rouge de confusion et entourée de nombreux débris de porcelaine, se tenait Anne, tétanisée et main plaquée sur sa bouche. Ses grands yeux affolés rencontrèrent ceux de Marilla.

- Anne Shirley Cuthbert ! Il est désespérant de constater que tu ne sais toujours pas sortir un service à thé sans le briser, à l'âge de dix-huit ans.

- Je suis terriblement désolée, Marilla. Je vais tout ramasser immédiatement et je... je vous rachèterai un nouveau service à thé, la semaine prochaine avec mes économies. S'il le faut, je vendrai mes effets personnels et...

Marilla leva les yeux au ciel :

- Pour l'amour de Dieu ! Contentons-nous d'abord de nettoyer ce désordre.

Elle commença à se pencher vers les débris afin de ramasser les plus gros morceaux mais Anne l'en empêcha d'un geste :

- Non, Marilla ! Laissez-moi faire ! Vous risquez de vous couper. Je m'en charge.

La vieille femme eut un geste d'impuissance vers la porte :

- Quelqu'un doit aller accueillir notre invité.

- Faites-le ! s'écria spontanément sa fille adoptive. Je suis responsable de tous ces dégâts alors c'est à moi de les nettoyer.

Marilla hésita encore un instant mais les coups toqués à la porte l'empêchèrent d'insister plus longtemps. Elle lança un regard désemparé à Anne :

- Surtout, ne va pas te blesser, par-dessus le marché !

- Je serai prudente. Allez ouvrir à Gilbert. Je vous rejoins dans le salon dès que j'ai terminé.

Sur ses mots, elle fit volte-face et se rua vers le placard à balais. Elle claqua la porte derrière elle, s'adossa dessus, ferma les yeux et tâcha de diminuer les battements effrénés de son cœur.

Le souffle court, elle entendit la voix de Marilla à travers le bois :

- Gilbert ! Quel plaisir de te revoir, après deux ans !

Trois mois plus tôt

- Nous sommes donc fiancés.

Anne avança la main gauche et montra à Tante Joséphine l'anneau en terre glaise qui ornait son annuaire ; la vieille dame se pencha en avant et examina sobrement l'objet.

- C'est toi qui l'as fabriqué ? demanda-t-elle regardant Cole par en-dessous.

Le jeune homme baissa la tête et acquiesça. Anne s'enthousiasma :

- Il a utilisé un brin de paille de l'écurie des Pignons Verts pour stabiliser la glaise et ensuite, il a réalisé les ornements à l'aide d'un stylet.