Chapitre 2. Raven.

1.8K 243 213
                                    

La passion. Qui brûlait, consumait mais qui ne disparaîtrait jamais. Qui faisait souffrir et qui déployait dans mon cœur et dans mon corps des sensations incroyables. Mon âme était acquise à Rain depuis longtemps. Depuis le début. Alors comment aurais-je pu refuser que nous nous battions ensemble, pour nous ? Et ce, en dépit de mon ressentiment ?

J'aurais voulu hurler oui, bien sûr que je suis d'accord. Mais j'étais toujours en colère et Rain méritait que je la lui montre.

— Nous battre ? répétai-je. Contre ton clan ?

— Oui.

— Tu sais très bien ma réponse, Rain, grondai-je. Espèce de foutu connard.

— Je te préviens, Ilya, ne me provoque pas ici, grogna-t-il à son tour, et ses yeux étincelèrent, lancèrent mille éclats de saphir. Si tu veux que nous réglions ça physiquement, pas de problème, je te l'ai déjà dit. Mais faisons-le ailleurs. Je ne souhaite pas vraiment expliquer à ces humains pourquoi les tables ont volé et comment les fenêtres ont explosé alors que deux bêtes se griffaient et se mordaient. Ça ferait mauvais effet.

— OK, je mets ça sur ton ardoise, capitulai-je provisoirement. Je prendrai ma revanche plus tard, sois sans crainte.

— Maintenant que ce point est réglé, c'est quoi ta décision ?

— Je suis d'accord pour que nous nous battions contre ton clan, dis-je. Évidemment. Mais tu sais que c'est compliqué, non ? Dès le début, c'était compliqué. Dès que ton frère a compris ...

De nouveau les souvenirs m'envahirent et la lumière de Rain se fit plus diffuse. Son cœur ralentit, et il n'en dissimulait plus les battements. Lui aussi suivait le cours de ce que nous avions vécu quand Raven avait réalisé, pour nous deux ...

Après notre rencontre, je ne revis pas Rain durant deux ans et demi. Son mystère me tenait tête. Mon désir de lui me permit d'apprendre à me connaître, connaître mes goûts en amour. Le souvenir de sa lumière me guidait pendant qu'il était sans doute reparti chez lui, en Amérique.

Je me rappelais très bien cette journée du début décembre 1916, quand il réapparut. J'avais dix-sept ans et demi. Le matin, j'avais accompagné sur les marchés notre gouvernante, Elizabeth, pour la protéger. En apparence, la vie n'avait pas changé. Le ciel étendait à l'infini ses plaines grises et la coupole de Notre Dame de Kazan s'en détachait. Il y avait du monde sur la place. En réalité, depuis que l'Allemagne nous avait déclaré la guerre, un an plus tôt, notre existence s'était peu à peu modifiée. St Pétersbourg était devenue Petrograd dans la joie populaire jusqu'à ce que le mécontentement soit perceptible et source de danger potentiel. Il y avait trop de morts. Trop de chagrin. Les flots de la Neva charriaient la colère et la lassitude du peuple.

Lorsque je poussai notre porte d'entrée, Elizabeth soupira, soulagée que nous soyons revenus sains et saufs. Je me débarrassai de mon manteau, envoyai voltiger ma chapka et grimpai les marches à toute allure.

— Vous tomberez, un de ces jours, prophétisa la gouvernante, qui prenait la direction des cuisines avec son panier.

— Je me relèverai, affirmai-je. Toujours.

Je tirai les rideaux de ma chambre pour cacher la morne luminosité. J'en avais une plus puissante dans le cœur. Je m'enfonçai dans mon fauteuil favori pour tomber au fond de mes pensées. Les gens en avaient ras le bol de la noblesse, voilà la vérité, qui nous tomberait dessus un de ces jours. Même si nous faisions des efforts. Le Palais Alexandre avait été transformé en infirmerie afin d'accueillir les blessés de guerre. Ma mère et d'autres femmes de la cour aidaient la Tsarine à s'occuper des soldats. J'avais vu son tablier rougi par le sang des membres amputés. Du coup, elle ne parlait plus de l'armée pour moi et faisait tout pour que mes frères n'aillent pas sur le front. D'autres n'avaient pas le choix, eux.

LIGHTS, roman édité, 5 chapitres disponibles Où les histoires vivent. Découvrez maintenant