Chapitre XXXIV

Depuis le début
                                    

– Rien que je ne puisse supporter ; et même avec le plus grand plaisir, pourvu que vous me laissiez seul. Rentrez et ne m’ennuyez pas.

J’obéis. En passant, je remarquai que sa respiration était aussi précipitée que celle d’un chat.

– Oui, me dis-je, il va être malade. Je me demande ce qu’il a bien pu faire.

À midi, il se mit à table pour dîner avec nous et accepta de ma main une assiette pleine, comme s’il voulait faire compensation à son jeûne antérieur.

– Je n’ai ni rhume, ni fièvre, Nelly, remarqua-t-il, en allusion à mes paroles de la matinée ; et je suis prêt à faire honneur à la nourriture que vous m’offrez.

Il prit son couteau et sa fourchette, et il allait commencer de manger, quand tout à coup son appétit parut disparaître. Il reposa son couvert sur la table, regarda avec anxiété vers la fenêtre, se leva et sortit. Nous le vîmes marcher de long en large dans le jardin pendant que nous finissions notre repas, et Earnshaw dit qu’il allait lui demander pourquoi il ne dînait pas : il pensait que nous avions fait quelque chose qui le contrariait.

– Eh bien ! vient-il ? cria Catherine quand son cousin rentra.

– Non ; mais il n’est pas fâché ; il semblait même particulièrement satisfait. Seulement je l’ai impatienté en lui adressant deux fois la parole ; il a fini par me dire d’aller vous rejoindre. Il s’étonnait que je pusse rechercher la compagnie de quelqu’un d’autre.

Je mis son assiette à chauffer sur le garde-feu. Au bout d’une heure ou deux, il rentra, quand la pièce fut libre, nullement calmé : le même air de joie – un air qui n’était pas naturel – sous ses sourcils noirs ; le même teint exsangue ; de temps en temps une sorte de sourire laissait apparaître ses dents ; il frissonnait, non pas comme on frissonne de froid ou de faiblesse, mais comme vibre une corde très tendue… un fort tressaillement, plutôt qu’un tremblement.

Je vais lui demander ce qu’il a, me dis-je ; sinon, qui le lui demanderait ? Et je m’écriai :

– Avez-vous appris quelque bonne nouvelle, Mr Heathcliff ? Vous avez l’air plus animé qu’à l’ordinaire.

– D’où me viendraient de bonnes nouvelles ? C’est la faim qui m’anime ; et, vraisemblablement il ne faut pas que je mange.

– Voilà votre dîner. Pourquoi ne voulez-vous pas le prendre ?

– Je n’en ai pas besoin pour le moment, murmura-t-il vivement ; j’attendrai jusqu’au souper. Et puis, Nelly, une fois pour toutes, faites-moi le plaisir de dire à Hareton et à l’autre de ne pas se montrer devant moi. Je désire n’être troublé par personne ; je désire avoir cette pièce pour moi seul.

– Y a-t-il quelque nouvelle raison pour motiver cet exil ? demandai-je Dites-moi pourquoi vous êtes si singulier, Mr Heathcliff. Où avez-vous été la nuit dernière ? Ce n’est pas par simple curiosité que je vous fais cette question, mais…

Les Hauts de HurleventOù les histoires vivent. Découvrez maintenant