Chapitre XXIX

Depuis le début
                                    

– Je viendrai, dit Catherine. Linton est tout ce qui me reste à aimer au monde et, quoique vous n’ayez rien négligé pour nous rendre haïssables l’un à l’autre, vous ne pouvez pas nous forcer à nous haïr. Et je vous défie de lui faire du mal quand je serai là, et je vous défie de me faire peur !

– Vous êtes un champion plein de jactance, répliqua Heathcliff. Mais je ne vous aime pas assez pour lui faire du mal ; vous aurez tout le bénéfice du tourment, jusqu’à la fin. Ce n’est pas moi qui vous le rendrai odieux, c’est sa charmante nature elle-même. Votre désertion et ses conséquences l’ont rempli de fiel : n’attendez pas de remerciements pour votre noble dévouement. Je l’ai entendu tracer à Zillah un plaisant tableau de ce qu’il ferait s’il était aussi fort que moi ; l’intention y est, et sa faiblesse même rendra son esprit ingénieux pour suppléer à la force qui lui manque.

– Je sais qu’il a une mauvaise nature : c’est votre fils. Mais je suis heureuse d’en avoir une meilleure pour lui pardonner. Puis je sais qu’il m’aime, et c’est pour cela que je l’aime. Mr Heathcliff, vous n’avez personne pour vous aimer, vous ; et, si misérables que vous nous rendiez, nous aurons toujours la revanche de penser que votre cruauté vient de votre misère encore plus grande. Car vous êtes misérable, n’est-il pas vrai ? Seul, comme le démon, et envieux comme lui ! Personne ne vous aime, personne ne vous pleurera quand vous mourrez ! Je ne voudrais pas être à votre place !

Catherine parlait avec une sorte de triomphe sinistre. Elle semblait avoir résolu d’entrer dans l’esprit de sa future famille et de tirer plaisir des chagrins de ses ennemis.

– Vous vous repentirez bientôt, dit son beau-père, si vous restez ici une minute de plus. Dehors, sorcière, et prenez vos hardes !

Elle sortit avec un air méprisant. En son absence j’entrepris de demander la place de Zillah à Hurle-Vent, offrant de lui céder la mienne ; mais il ne voulut pas en entendre parler. Il m’enjoignit de me taire ; puis, pour la première fois, il jeta un coup d’œil circulaire sur la pièce et regarda les portraits. Après avoir examiné celui de Mrs Linton, il dit :

– Il faut que j’aie celui-là chez moi. Non que j’en aie besoin, mais…

Il se tourna brusquement vers le feu et continua avec ce que, faute d’un meilleur mot, j’appellerai un sourire :

– Je vais vous dire ce que j’ai fait hier. J’ai fait enlever, par le fossoyeur qui creusait la tombe de Linton, la terre sur son cercueil, à elle, et je l’ai ouvert. J’ai cru un instant que j’allais rester là : quand j’ai revu sa figure – c’est encore sa figure ! – le fossoyeur a eu du mal à me faire bouger ; mais il m’a dit que l’air l’altérerait. Alors j’ai rendu libre un des côtés du cercueil, que j’ai ensuite recouvert ; pas le côté près de Linton, que le diable l’emporte ! Son cercueil, à lui, je voudrais qu’il eût été soudé au plomb. Puis j’ai soudoyé le fossoyeur pour qu’il enlevât ce côté quand je serai couché là, et qu’il fasse subir la même opération à mon cercueil, que je ferai disposer en conséquence. Et alors, quand Linton viendra nous voir, il ne pourra plus s’y reconnaître !

– Vous avez agi d’une façon indigne, Mr Heathcliff ! m’écriai-je. N’avez-vous pas eu honte de troubler les morts ?

Les Hauts de HurleventOù les histoires vivent. Découvrez maintenant