I- Existence factice

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Thème : « Dans la vengeance et en amour, la femme est plus barbare que l'homme. » F. Nietzsche


     Je me tenais là, debout, sur le pas de la porte. Des milliers de pensées se bousculaient alors dans ma tête, toutes plus insensées les unes que les autres. Et des questions, légitimes. Qu'avais-je fait pour mériter ça ? Qu'allais-je faire, maintenant que tout ce que j'avais mis tant de temps à construire s'était effondré ? Le temps d'un gémissement, d'un regard et tout était réduit à néant. Toute ma force expira. Ainsi, je ne pus me résoudre à interrompre cette clameur lubrique qui se dégageait de notre chambre à coucher. Dois-je encore dire « notre » dorénavant ? Aucune importance. Rien n'avait plus aucune importance.

    Ne supportant plus les expressions exaltées de plaisir que j'entendais, je me dirigeai vers le jardin, prenant soin d'être la plus discrète possible. Assise sous le cerisier en fleur que nous avions planté le lendemain de notre mariage, je me mis à contempler l'inanité de mon existence. Tous les sacrifices, les mensonges, les compromis que j'avais faits pour lui. Tout cela avait été vain. Qu'ai-je construit moi-même ? J'exerçais en tant qu'institutrice dans une école primaire. C'était la seule chose dont je pouvais tirer du mérite. A part cela, je me comblais dans un milieu illusoire. Un milieu auquel je n'appartenais pas.

    Cette maison spacieuse, ce jardin parfaitement entretenu, ces meubles anciens, ce train de vie luxueux, ces voyages exotiques... Tout venait de lui. Alexandre de Beaumont, le célèbre avocat d'affaires au barreau de Bordeaux. Sans le vouloir, je me remémorai notre rencontre.

    Alors étudiante en lettres modernes, j'avais simplement accompagné une amie du nom de Camille à une soirée. Plutôt huppée, elle rassemblait étudiants de médecine, de droit ou encore d'écoles de commerce. J'avais toujours été mal à l'aise dans ce genre de situation alors ne voulant pas être un poids social pour mon amie, je me suis assise sur un tabouret de bar, la laissant à ses activités mondaines. J'ai ensuite commandé un verre de limonade, voyant les prix exorbitants des cocktails. C'est à ce moment là que j'ai croisé le regard de celui qui deviendrait mon mari. Je n'avais que vingt ans à l'époque et lui aussi. Ses yeux émeraude avaient une lueur ensorcelante dans la lumière tamisée du penthouse. Ils me fixaient, me transperçaient. A ma grande surprise, j'eus l'audace de soutenir son regard. Il vint s'asseoir à côté de moi, nous discutâmes de tout et de rien et finalement nous échangeâmes nos numéros de téléphone. Et la suite de l'histoire est facile à deviner. Mais je ne dois plus me bercer d'illusions. Je sortis alors de mes rêveries qui semblaient si lointaines et repensai à tous ces signes indicateurs de la fatalité qui me tourmentait à présent.

    Malgré la félicité apparente que présentait notre foyer à l'ensemble de notre cercle, j'avais toujours ressenti qu'Alexandre était insatisfait à propos de quelque chose. A propos de moi en réalité. Je n'ai jamais pu lui donner d'enfants. Et lui pourtant, rêvait d'être père. Il aurait sûrement fondé la parfaite famille s'il n'avait pas fait l'erreur de se marier à une femme, comme moi. Une défectueuse. Après tout, comment aurait-t-il pu savoir ? C'était un lourd secret que je n'ai pas eu le courage de dire à l'homme que j'aimais jusqu'à ce qu'il l'apprenne de la bouche d'un médecin. Infertilité dû à un traumatisme du col utérin. Quelle humiliation. J'ai vu la déception se dessiner sur son visage mais aussi le sentiment de trahison. C'est sûrement à ce moment-là, dans notre trentaine, qu'il allait devenir l'instrument de mon désespoir.

    Il ne me semble pas avoir déjà été suspicieuse de son infidélité. Je ne lui reprochais rien jusqu'à maintenant. C'est plutôt moi qui avait des reproches à me faire. Je me dévalorisais sans cesse, me flagellais pour tous les mensonges que j'avais commis, détruisant ainsi le peu d'estime que j'avais de moi-même. Les semaines passèrent et la dépression qui me rongeait s'intensifiait. Mais j'ai continué à sourire. Encore et toujours sourire. Devant lui, ses amis, sa famille. Pour éviter l'embarras et les tracas que j'aurais pu lui causer en racontant la vie misérable que je menais. Je ne voulais qu'il souffre à cause de mes pensées sombres. Mais lui ne m'a pas épargné aujourd'hui...

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