Tout avait basculé cette nuit du cinq novembre, elle descendait la bute Montmartre, elle avait dansé dans un petit café, où se produisaient régulièrement des groupes rock de la scène Parisienne. Le pavé était détrempé, le brouillard de cette fin d'automne était dense. Le nez emmitouflé dans son keffieh, elle ne regardait que le bout de ses Converses défiler de plus en plus vite. Elle se sentait suivie, elle regrettait d'avoir refusé le bras d'Ilario. Elle avait le sentiment de n'être plus qu'une proie à la merci de cette ombre. Elle tourna vivement dans une rue perpendiculaire mais, les pas résonnaient encore derrière elle. Le rapace déploya d'un seul coup toute son aile au-dessus de son épaule, Ernestine croisa son regard noir, il déversait un flot de paroles salaces au creux de son oreille, elle sentit son haleine près de sa bouche. Il était fort, brutal, il la coucha sur le trottoir mouillé. Il n'y avait personne. Ernestine était bâillonnée. Il était armé d'un couteau et appuyait sa lame tranchante près de sa carotide palpitante. De rage, elle lui planta ses canines acérées à l'oreille et la lui arracha. Cloué par la douleur, le vautour desserra ses serres et échappa le couteau qu'Ernestine planta sauvagement à plusieurs reprises dans ce corps trop lourd, trop sale. Elle sentit la lame qui résista et se faufila dans ce tas de viande. Il lui tirait encore les cheveux lorsqu'il expira pour la dernière fois. Elle s'extirpa. Elle avait un goût de vinaigre dans la bouche. La lumière opaque de l'aube commençait à percer les ténèbres.

Elle avait tué un Homme.

Elle entendait déjà la rumeur se propager, ses oreilles bourdonnaient.

Elle avait tué un Homme ! Fuir.

C'était ainsi qu'elle était montée dans le premier avion et s'était retrouvée dans son petit paradis réunionnais. Elle n'avait laissé aucune trace derrière elle. Ses effets personnels, son portable, sa carte bancaire, elle avait tout laissé étayant la thèse d'un enlèvement, d'un crime...

Souvent elle pensait à sa mère, à ses sœurs, et surtout à Ilario... Elle l'avait rencontré quelques mois plus tôt avant son agression dans le même café-concert de la bute Montmartre. En quelques secondes elle avait remarqué ce guitariste... tout le monde le remarquait. Il était brun, grand, ses cheveux mi- longs faussement crasseux caressaient le bas de son menton mal rasé. Il était courbé sur son instrument, ne regardait pas le public, il faisait corps avec la musique. Ses doigts délicats, jaunis par la nicotine courraient sur le manche. Ses bras tatoués ici et là de symboles obscurs aiguisaient la curiosité d'Ernestine. Elle le dévorait des yeux. Il s'était glissé dans un jeans noir très près du corps, une chemise à carreaux ouverte sur un « marcel » blanc. Visiblement, il n'était pas fan de la salle de musculation mais ce corps gringalet attisait le feu d'Ernestine. Dans la soirée, d'autres groupes se succédaient, le bel Italien et Ernestine finissaient par faire connaissance, le coup de foudre était dévastateur. Il lui avait offert une bière au comptoir, ils se tenaient debout et parfois la foule des danseurs les compressait. Il avait passé son bras au-dessus des épaules frêles, et de l'autre main, il avait pressé sa joue la forçant à tourner la tête. Le visage encadré dans les mains du guitariste elle était sienne. Ses lèvres avaient croqué celle d'Ernestine, elle sentait le piquant de sa barbe, douce et rappeuse à la fois. Ils s'étaient aimés dès la première nuit. Ernestine avait honte d'avoir succombé si vite dans les draps de cet inconnu. Au diable les principes ! Comment résister lorsque Satan vous cajole et vous dévore sans protocole ? Ernestine se cherchait des excuses mais sans grandes convictions, leurs corps se comprenaient. Il parlait dans un Italo-Français mal assuré, et Ernestine buvait ses paroles de séducteur. Assurément Ilario était de ces hommes. Sous ses mains elle était une Autre, sous son regard elle était Reine. Cet amour était magnétique. Lorsqu'ils ne se voyaient pas elle tombait dans une léthargie attendant le texto, l'appel... elle était dépendante de lui physiquement, psychologiquement. Lui, se plaisait à la faire fondre comme une tablette de chocolat en plein soleil. Il s'amusait de ses moues de fillette lorsqu'il lui disait « no, on ne se verra pas oujourd'hui, je travaille une nouveau morceau ». Il venait de Toscane. Ernestine ne ressemblait à aucune de ses conquêtes. Il aimait les courbes chaleureuses, l'exubérance d'un généreux décolleté, il se laissait séduire par un éclat de rire, et le voilà entiché d'une fille de l'Est, rousse, menue, anxieuse. Il ne sut pas vraiment pourquoi il avait posé les yeux sur elle. Il avait été touché par ses ongles rongés, et surtout, elle ne portait pas de soutien-gorge, promettant une petite poitrine musclée comme une jeune fille.

REVEILWhere stories live. Discover now