Face à lui, une nuée d'étudiantes brillantes et toutes plus sexy les unes que les autres buvaient ses paroles. Il s'assit nonchalamment sur le bureau, comme si l'idée même de faire comme n'importe quel professeur et de s'asseoir derrière pouvait réduire à néant le personnage qu'il s'était créé. Je n'avais d'yeux que pour lui, du fond de la salle, tandis que les trois premiers rangs ne souffraient d'aucunes places vides. J'observais cet homme simple et passionnant, enseigner avec ferveur et l'envie d'ancrer son savoir dans tous les cerveaux à sa disposition.

Je ne compris pas grand-chose à ce qui se dit durant ce cours, mais je ne m'ennuyai pas une seule seconde. Charles avait un don pour captiver son publique. À la fin du cours, presque toutes les femmes présentes sans exceptions se ruèrent vers lui en faisant mine d'avoir des questions trop importantes à lui poser pour attendre le cours prochain. J'attendis patiemment du haut de l'amphithéâtre que la foule se disperse sans en perdre une miette. Je remarquai très vite cette femme superbe, un peu à l'écart qui attendait son tour avec beaucoup de retenue. Soudain, son regard croisa celui de Charles et je vis dans ses yeux à lui, la même étincelle que lorsqu'il avait vu la fille de samedi soir sur le trottoir d'en face.

Quand ce fut à son tour, il changea carrément de posture, il n'était plus le même homme, il était devenu le chasseur. Il jeta brièvement un regard pour moi en haut de la salle, un peu déstabilisé par ma présence. Cependant, il ne lâcha pas l'affaire. De là où je me tenais, je ne pouvais pas percevoir leur conversation, mais quand sa main effleura celle de Charles du bout des doigts et qu'il ne protesta pas, je ne pus rester une minute de plus dans la pièce.

Je partis en claudiquant, incapable d'en voir davantage. J'avais moi-même provoqué ce genre de situation, je lui avais donné mon autorisation pour ça, alors je ne pouvais pas lui reprocher quoi que ce soit. Je préférais quitter les lieux et faire comme si je n'avais rien vu, comme si leur comportement à tout deux ne signifiait rien, comme si je n'avais pas perçu la tension sexuelle qui flottait entre eux.

Ma journée eut un goût amer. Je détestais l'idée d'être là et plus encore de ne pas savoir ce que Charles était en train de faire. Distraite et beaucoup trop inquiète pour me concentrer sur mes cours, j'envoyai de nombreux messages à mon petit ami dont peu trouvèrent leur cible. Il ne répondit que brièvement à quelques-uns de mes sms si bien que je décidai très vite de laisser tomber.

Au déjeuner, je profitais du temps qui m'était alloué pour aller rendre la pile de livres qui alourdissaient mon sac à dos à la bibliothèque, après quoi je filai au centre-ville pour aller me chercher une gaufre tacos épicée. Avec mes béquilles, le chemin me prit plus de temps que prévu et j'arrivais en retard à mon premier cours de l'après-midi. Entre-temps, Charles avait essayé de m'appeler pas moins de trois fois.

Ce cours fut aussi long qu'ennuyeux et j'en sortis avec un devoir à rendre pour la fin de l'année et qui comptera pour les partiels de ce dernier semestre. Si mon cauchemar s'en était arrêté là, j'aurais pu supporter cette charge supplémentaire de travail sans rechigner, mais il a fallu que ce devoir s'avère non seulement être un exposé oral, mais qu'en plus il doive se réaliser en binôme. Nous n'eûmes pas le choix de notre partenaire et qu'en bien même cela aurait été le cas, je ne m'étais liée d'amitié avec personne au sein de ma promotion. Étonnant !

Je détestais profondément cette idée. Pour moi, une note ne devait se devoir qu'à soi-même et à personne d'autre. Je ne concevais pas de lier ma réussite à une tierce personne. Jusqu'ici, je n'avais dû ma réussite qu'à moi et c'était très bien comme ça.

Notre compagnon d'exposé fut tiré au sort et je fis aussitôt la connaissance d'un garçon aussi sympathique qu'extravagant car il avait les cheveux blancs, une originalité qu'il était sans aucun doute difficile d'assumer dans une filière aussi stricte que le droit. Il vint immédiatement se présenter à moi, jonglant à la perfection avec mon manque d'intérêt pour sa personne. Je n'avais rien contre lui, mais je n'avais pas envie ni d'être responsable de son échec, ni même qu'il soit responsable du mien car, soyons réaliste, ce matin encore j'avais décidé de ne pas finir mon année temps je n'en voyais pas l'intérêt. Si je pouvais aisément prendre une telle décision, c'était uniquement parce qu'elle ne concernait que moi. Maintenant, ce garçon entrait dans l'équation et j'avais horreur de ça. Je ne pouvais décemment pas renoncer à finir le semestre et affubler ce jeune homme d'une mauvaise note par la même occasion. Quand le destin s'en mêle...

- Je m'appelle Gontran ! se présenta-t-il gaiement visiblement ravi par notre duo.

- Oh ! fis-je surprise. C'est...

- Bizarre, je sais, continua-t-il ma phrase à ma place. Mes parents ont beaucoup d'humour... Ou pas d'ailleurs.

- Non, c'est original ! repris-je pour ne pas paraître insultante. Moi c'est Maggie !

- Enchanté Maggie !

- Je préfère te poser la question tout de suite comme ça j'arrêterai de me torturer les méninges avec ça. C'est ta vraie couleur de cheveux ? demandai-je très indiscrètement.

Je ne sus pas ce qui me prit. D'habitude, jamais je n'aurais osé poser la question.

- Oui, c'est une maladie auto immune. J'ai toujours eu les cheveux blancs, ils n'ont pas de pigmentation.

- Tu es albinos ?

- Pas du tout, dans mon cas ça n'a d'impact que sur les cheveux et les poils.

Il eut ce petit sourire en coin qui me gêna profondément et qui ne réussit qu'à me tendre un peu plus.

- J'ai une super idée pour notre exposé ! clama-t-il surexcité.

- Ah oui, marmonnai-je pas très à l'aise avec autant d'énergie.

- L'homme peut-il faire justice lui-même ? récita-t-il comme s'il s'agissait d'un des sujets en liste pour le prix Nobel.

- Euh..., fis-je mine de réfléchir en grimaçant. N'importe qui pourrait déjà répondre à ta question. Il est interdit de se faire justice soi-même.

- Je ne te parle pas forcément de se faire justice, mais de tout ce que cela implique, se défendit-il avec hargne. L'homme a créé les lois et la justice, c'est donc bien lui qui se fait justice. Le fait qu'il le fasse hors ou dans le cadre légal revient au même dans ce sujet. Ce qui va nous intéresser c'est plutôt de savoir si l'homme à raison de le faire, sous quelles conditions, quelles règles. Une personne lambda qui se fait appeler juge est-elle plus apte à juger que la personne qui a subi l'affront ? Se sentons mieux après que la sentence soit exécutée ou prononcée ? Lave-t-elle réellement du préjudice perçu ? Au final, la justice a-t-elle un réel but où est-elle juste une façade pour nous permettre d'avancer en prétendant que le problème est résolu ? Il y a un million de questions à se poser.

- Oui je vois ça, répondis-je bouche bée.

- Alors c'est d'accord ?

- Tu as l'air si sûr de toi alors pourquoi pas ! cédai-je devant autant de passion.

Il serra le poing en guise de victoire et s'empressa de prendre une feuille pour noter toutes ses idées. Il fallait bien que j'avoue que son sujet, vu sous cet angle, était plutôt une bonne idée. Je percevais dans son sujet quelques interrogations que je m'étais déjà faites et mourais presque d'envie de me plonger avec lui dans les ruminations du système juridique inventé par l'Homme et de le démonter brique après brique. Finalement, ce travail risquait d'être intéressant.

- Je peux prendre ton numéro pour qu'on puisse se voir après les cours ? me demanda-t-il en sortant déjà son portable de sa poche.

- OK !

Je ne réussis pas à trouver d'excuses assez valables pour refuser sa demande. Tout à coup, une multitude de raisons me vinrent en mémoire, mais trop tard. Je pensais en tout premier lieu à Charles. Je savais très bien qu'il ne serait pas d'accord avec le fait que j'ai un travail particulier avec un autre garçon. J'en avais la certitude depuis que je l'avais vu se conduire en véritable crétin quand un garçon était poliment venu m'aider à monter l'escalier. Quand il allait savoir ça, il allait me faire sa crise, pire encore s'il voyait que Gontran m'écrivait sur mon téléphone portable. Je l'imaginais bien capable d'aller voir mon professeur pour me dispenser de cet exposé obligatoire, et je ne doutais pas qu'il soit suffisamment persuasif pour y parvenir, me fichant par la même occasion la honte du siècle.

Malheureusement pour moi, je n'avais pas vraiment le choix. Il fallait bien trouver des créneaux pour se voir et travailler sans être obligé de se voir une fois par semaine pour fixer des dates et horaires. Intérieurement, je fis le choix de ne rien dire à Charles. Inutile d'attiser le feu.

Cœur ArtificielWhere stories live. Discover now