Chapitre 1

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Mes yeux se perdent sur le plafond zébré par le temps. La lumière de la pièce aveuglante le matin me paraît bien blafarde maintenant que la journée se termine. Une longue expiration m'échappe alors que je passe mes mains sur mon visage encore dégoulinant de pluie, je suis épuisée par ma journée d'efforts. Je n'ai même pas eu la force d'enlever mon treillis trempé avant de me jeter sur mon lit. Notre instructeur nous a fait enchaîner les parcours du combattant jusqu'à ce que l'une d'entre nous tombe inanimée.

Je me laisse balloter par le courant de mes pensées, trop occupée à récupérer quand je réalise que ce sera bientôt mon anniversaire. « Aucune importance ». Je secoue la tête pour m'obliger à passer à autre chose mais le pincement que je sens dans ma poitrine me force à admettre que je tente de me leurrer. Je grogne malgré moi, agacée par ma réaction.

Ce jour n'a jamais voulu rien dire pour personne. Je suis une erreur de parcours, un boulet à traîner, une galère à gérer... la liste est sans fin. Une chose est sûre c'est que je ne manquerai à personne quand ils auront réussi à me tuer. Mon cœur se serre dangereusement ranimant la colère qui me dévore trop souvent. Je me mords durement l'intérieur de la joue pour m'obliger à me reprendre. « Arrête de faire ta chialeuse !!! T'en es plus là... ». Je n'ai plus pleuré depuis...je ne me souviens plus la dernière fois où les larmes m'ont dominée, à force de souffrir je suis devenue forte.

Même si j'ai vaincu ma faiblesse, chaque année qui passe me rend un peu plus morose, me rappelant que je n'ai aucun avenir. Je vais avoir seize ans ce qui veut dire que je termine mon parcours chez les minimes où j'ai grandi depuis mon arrivée ici. Dans deux jours, je passerai les évaluations de fin de cycle qui m'ouvriront les portes d'une nouvelle vie et mon entrée dans le monde des adultes.

Rien n'est joué, les enjeux sont de taille et même si j'ai haï ce que je vais quitter, je suis à la fois impatiente et transie de peur devant l'inconnu.

Mon cœur s'emballe et je souffle plusieurs fois pour le ramener à un rythme normal.

Une rafale de vent vient soudainement bousculer la fenêtre projetant un paquet de gouttelettes sur la vitre. Je sursaute et constate combien l'ambiance extérieure est aussi maussade que mon humeur. Je ferme les yeux et tente de fuir.

Je choisis d'éloigner mes pensées loin de l'enceinte militaire dans laquelle je me trouve. Je revois les montagnes qui nous entourent, j'imagine la plaine, un ruisseau... mais je suis vite à court.

Je ne suis jamais sortie d'ici et comme je n'avais que cinq ans lorsqu'on m'a enfermée, je n'ai presque plus de souvenirs de mon passé. Il ne me reste plus que quelques images de ma mère et de notre logement écœurant.

Je la revois... elle a dû être belle parce que son visage brisé restait magnifique. Ma mâchoire se contracte durement. Repenser à elle m'est insupportable, tout ce qui lui colle semble hurler mon existence impropre et son absence. Pourtant elle est omniprésente dans mes rêves et chaque fois que je laisse dériver mon esprit. Je me réinstalle nerveusement sur le matelas pour tenter de tromper mon malaise. Depuis que l'humanité s'est déchirée la vie est dure. Les technologies sont mises exclusivement au service de l'armée. Le peu de terres saines qu'ont laissées les armes nucléaires et biologiques après leur passage réduisent les ressources considérablement et privent les gens de tout superflu, parfois même du nécessaire. Nos dirigeants ne manquent pas de souligner, dès que l'occasion se présente, combien nous sommes « privilégiés » de pouvoir prétendre à des repas quotidiens et variés..., ils trouvent ainsi le moyen de nous rappeler à quel point nous sommes redevables. A les écouter on pourrait croire que vivre se résume à manger ! Evidemment, ça aide bien... mais si je n'étais qu'une machine biologique, il me paraît évident que je serais alors délivrée de mes états d'âme et de mes sentiments, pourtant... ce n'est vraiment pas le cas et c'est pour moi l'assurance que je suis plus qu'un besoin physiologique à combler.

L'enceinte - Sous Contrat de publicationWhere stories live. Discover now