Deuxième Jour

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Le réveil fut difficile. Le caporal nous bousculait avec son pied en nous obligeant à nous lever. De toute façon, je n'avais pas vraiment fermé l'œil de la nuit. A un moment, j'avais même cru entendre de faibles hurlements depuis le no man's land. Les gars de garde postés à côté de moi se disaient entre eux que ça devait être un allemand, bloqué quelque part sous la boue depuis leur dernier assaut sur nos lignes. Ce matin on n'entendait déjà plus ses gémissements. Il a dû mourir pendant la nuit. Mourir seul, anonyme. Hagard, je me dis « qu'est-c'que c'est sale la guerre ». J'ai peur qu'un jour je sois à sa place, enfin, on a tous peur de ça.

On nous a distribué du café, du moins quelque chose qui y ressemblait. Pendant qu'on le buvait, le caporal nous a expliqué les manœuvres du jour. Ce sera corvées de tranchés. On va tout refaire à neuf, car le dernier assaut allemand avait presque tout démoli et ça devenait dangereux pour nous. On nous a donné les pioches et les pelles et c'était parti pour 10h à creuser.

Moi naïvement, je m'attendais à creuser de la terre. De temps en temps, on déterrait des cadavres, des bras, des mains, des jambes. Ça devait appartenir aux gars présents avant qu'on arrive. Des allemands, des français, c'était un joyeux et macabre mélange. Les anciens connaissaient les combines, et en profitaient pour s'offrir une nouvelles paire de bottes, ou de gants ou encore un nouveau pistolet. « Qu'est-c'que c'est sale la guerre ».

La journée avait été longue et harassante. Parfois un obus était tiré par nos artilleurs sur les lignes ennemies, parfois on en recevait un à quelques mètres de nos lignes. C'était inutile, mais ça nous rappelait où on avait mis les pieds, dans un enfer ennuyeux, parfois sourd et parfois silencieux. Je comprends mieux pourquoi je voyais les anciens se vider des bouteilles. Il n'y a que ça qui fait tenir. Et qui fait aussi oublier.

En fin de journée, le caporal nous a réunis une dernière fois avant d'aller faire notre nuit. Il y aura demain matin un assaut de grande envergure et on y sera.

On est partis nous coucher. Je suis tellement fatigué pourtant je n'arrive pas à fermer l'œil. Seigneur, j'ai peur, j'ai si peur.

Trois Jours dans la vie d'un HommeМесто, где живут истории. Откройте их для себя