Prologue

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Montre-toi ! m'invectiva vigoureusement le jeune garçon malgré son apparente fatigue.

Il tenait à peine debout. Le claquement lourd de chacun de ses pas sur les dalles pour venir vers moi me laissait penser qu'il était déjà au-delà de ses limites physiques.

Je tremble d'effroi, ironisai-je avant d'abaisser la capuche en velours qui masquait ma figure.

Cela faisait si longtemps que j'attendais ce moment. Si longtemps que je voulais répondre à ce désir sourd et me présenter à lui dans toute ma splendeur, et me voici.

C'est impossible..., souffla-t-il blafard en découvrant mon visage. 

Je sentais son regard parcourir mes traits, mon front altier, mes pommettes saillantes, mon nez droit et mon menton volontaire. Je devinais la peur s'insinuer en lui, lentement, sinueusement, et me délectais de la souffrance qu'elle occasionnait. Soudain, je le vis se rendre à l'évidence et admettre que nous étions semblables en tout point, traits pour traits, jusqu'à la petite fossette que nous partagions sur la joue gauche.

Qu'y a-t-il, Rémi ? On dirait que tu as vu un fantôme, souris-je de plaisir sadique. L'idée d'avoir un jumeau ne semble plus te plaire tout à coup. Toi qui as toujours attendu quelqu'un qui te ressemble, qui te comprenne, n'es-tu pas satisfait de me voir ? Pourquoi ne viens-tu pas me prendre dans tes bras ?

Tais-toi, tu ne sais rien de moi ! enragea-t-il.

Mes mots et mon attitude rigide semblaient le déstabiliser. Je m'en délectais.

Oh mais au contraire, je sais tout, m'amusai-je. Je suis bien plus que ton simple reflet dans le miroir. Voilà maintenant plus de seize années que nous jouons ensemble, ou plutôt que nous jouons l'un contre l'autre. 

Je dessinais un cercle de la main gauche et fis apparaître un plateau d'échecs flottant devant moi. 

Regarde où nous ont conduit toutes ces nuits d'affrontements. Tes derniers pions sont en bien mauvaise posture.

Ma couleur noire prédominait largement sur le plateau et chacune de mes pièces était stratégiquement disposée, prête à s'abattre sur lui, impitoyablement.

Vois, Rémi, l'état pitoyable de ton jeu ! Je devance chacune de tes actions. Ma victoire est assurée depuis bien longtemps, mais pourquoi se précipiter ? La patience est une vertu ! jubilai-je en détaillant à mon tour les traits de son visage tourmenté. 

Sa veine temporale commençait à battre. Je sentais sa colère, sa rage même, mais aussi son impuissance le submerger.

C'est terminé ! J'ai libéré l'Opalmea !

Il espérait peut-être me surprendre avec cette nouvelle, mais il ignorait sans doute que je maîtrisais mieux que quiconque les lois de ce monde.

Oh ! Je t'en prie. La balance a déjà penché une fois en ma faveur, et j'inverserai la tendance à nouveau. Ce n'est qu'une question de temps. 

Je n'avais vraiment que faire de l'Opalmea, mon but se situait bien ailleurs. Au-delà de tout ce qu'il pouvait bien imaginer.

Sais-tu que chacun des pions restants sur le plateau représente une personne que tu affectionnes ? lui demandai-je en avançant lentement vers lui. Nous avons Erwan le fou, Vaness la reine et Éva la tour.

J'effleurai chacune des pièces correspondantes en souriant. 

Sois sûr que je prendrai un malin plaisir à les faire disparaître un par un, tant que tu t'opposeras à moi...

Jamais ! Je t'en empêcherai, me coupa-t-il violemment. 

Je sentais le sang frémir dans ses veines, pour enfin exploser. Serait-il à la hauteur de mes espérances ? Rémi fit apparaître une boule de feu bleue dans la paume de sa main et la lança sur moi. Son geste était imprécis et son énergie faible. Je n'eus aucun mal à écarter son « attaque » d'un revers de la main. Pitoyable. Il tenta de me jeter d'autres projectiles, tous aussi inefficaces les uns que les autres. 

Quelle déception

Tremblant et comme à bout de force, son corps montrait des signes de fatigues évidents. Était-ce là toute l'étendue de ses pouvoirs ?

Je levais légèrement l'index de ma main pour le projeter instantanément contre les pierres froides et humides de la paroi. 

Je le voyais tenter de se débattre, mais il en était incapable, pris dans l'étau de mon pouvoir.

J'intensifiai la pression de mon geste pour peser davantage sur son petit corps frêle.

Les mots aussi, sont bloqués dans ta gorge ? ris-je. 

Je me délectais de la souffrance physique, mais surtout morale que je lui infligeais. Incapable de m'attaquer, de se débattre, ni même de parler, plongé dans mon ombre, censuré par mon pouvoir, Rémi n'était plus rien.


Les Nocturnes. Tome 1 L'éveil (Edité aux éditions BETA PUBLISHER)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant