Un petit grain d'or (partie 1)

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Mes parents m'avaient invitée à souper chez eux avant de prendre mon premier quart de travail de nuit. Enfin, ma mère m'avait pratiquement menacée de venir me nourrir de force chez moi si je n'acceptais pas son invitation. Depuis que je n'habitais plus chez elle, elle s'imaginait que je ne me nourrissais pas, si bien que je repartais toujours avec des muffins et des pots de confiture lorsque je venais la voir.

Aujourd'hui ne faisait pas exception.

— Cocotte, tu as une petite mine, constata ma mère avec dépit après que j'eus fait deux pas dans la maison.

Elle me tapota les joues.

— Tu dois manger plus de fer. C'est ce que j'ai lu dans un magazine dans la salle d'attente du dentiste. Tu dois manger de la viande rouge pour éviter de faire de l'anémie.

— Je ne fais pas d'anémie, maman. Ne t'inquiète pas, je suis seulement un peu stressée.

Ma sœur, qui avait un radar à stress ainsi qu'à toute autre émotion négative, arriva dans la pièce et me jeta un regard chargé d'affliction.

— Cocotte, tu dois faire attention à toi. Tu nous avais promis que tout irait mieux une fois que tu aurais ton diplôme et que tu ne passerais plus tes nuits à étudier.

Cocotte par-ci, Cocotte par-là... C'était toujours la même rengaine. Non seulement, ma famille continuait de m'affubler de ce surnom de prostituée depuis mon enfance – un petit nom d'amour, qu'ils disaient – mais ils persistaient aussi à savoir ce qui était le mieux pour ma santé. J'étais médecin, mais mon diplôme était annulé dès que je passais la porte de la maison de mes parents.

— Je vais bien, lâchai-je en détachant chaque syllabe. Je commence un nouveau travail, c'est normal d'être stressé.

Ma mère soupira. Ma sœur soupira. Toutes les deux m'observaient comme si j'étais une cancéreuse en phase terminale.

— Où est Jean-Baptiste? demandai-je à ma sœur pour changer de sujet.

— Il est à New York pour un congrès. Il revient demain.

Jean-Baptiste, le conjoint de ma sœur, était un représentant pharmaceutique. Avec son charme et ses manières de gentleman, son patron l'adorait et l'envoyait à tous les congrès du continent où sa compagnie pharmaceutique avait besoin d'être représentée.

— C'est l'heure de passer à table, décréta soudainement ma mère en jetant un coup d'œil à l'horloge murale. Maurice, viens manger! cria-t-elle en direction des toilettes. Astrid, ma chérie, viens t'asseoir. Pense au bébé. Tu dois manger, lança-t-elle avec l'autorité du monarque d'un petit royaume.  Et ne t'inquiète pas, j'ai porté une attention particulière à chaque ingrédient de la recette. Tout est sans danger pour toi comme pour le bébé.

— Merci maman.

Elle remplit l'assiette de ma sœur d'une montagne de ragoût. Heureusement que je n'étais pas enceinte comme elle.

— Toi aussi, tu dois manger, énonça-t-elle en me servant une portion de la même taille.

— Maman, protestai-je.

— Mange, me coupa-t-elle en me mettant un bout de pain dans la bouche.

Je mâchai avec vigueur pour avaler au plus vite et émettre de nouveau mes objections.

— Ah, mes trois femmes préférées réunies dans la même pièce! lança joyeusement mon père en entrant dans la salle à manger.

Il me donna un bec mouillé sur la joue avant de faire pareil avec Astrid.

Life is short, babyWo Geschichten leben. Entdecke jetzt