- C'est Mademoiselle Margaret Monsieur !

Charles se rua sur la porte, le regard noir et les yeux rouges.

- Je t'ai dit de fermer cette putain de porte, hurla-t-il à Paul en la claquant lui-même.

Je me retrouvais seule sur le perron, dégoulinante de la tête aux pieds. Loin de me vexer ou de me décourager, je pris le temps de me calmer et continuai à frapper de toutes mes forces à la porte, en vain.

Je retournai sous la pluie afin de visualiser la façade et donc les options qui s'offraient à moi. J'avais une petite idée derrière la tête. Je n'avais pas fait tout ce chemin pour me retrouver comme une conne sous la pluie. Aucune des fenêtres du manoir n'étaient restées ouvertes, mais de la lumière filtrait de l'une d'elles. Comme Charles venait de l'étage, j'en déduis qu'il se trouvait sans doute dans cette pièce. Ne me restait plus qu'à trouver un moyen d'y accéder.

- Charles ! hurlai-je à mon tour. Charles ouvre-moi ! Tu ne peux pas me faire ça bordel, Charles.

Mes supplications étaient vaines. La fenêtre resta close et il n'allait pas me faire l'honneur de l'ouvrir pour écouter ce que j'avais à lui dire. Je ne sais pas quelle mouche me piqua, ni où je trouvai le courage suffisant, mais un mur de lierre grimpant et s'enchevêtrant jusqu'à la toiture m'appela, me suppliant de servir d'échelle à notre amour.

Je pris la décision d'atteindre la fameuse fenêtre en montant le long de la végétation. Une fois à hauteur, je n'aurai qu'à tendre la main pour atteindre la rambarde et peut-être apercevoir Charles. Pourvu qu'il ne s'agisse pas de la salle de bains...

Qui aurait cru que je grimperai après du lierre pour tenter de parler à un garçon ? La vie peut parfois nous étonner. Mon ascension fut plus compliquée que je ne l'aurais pensé. Ça avait pourtant l'air si facile dans les films. La pluie ruisselait le long des feuilles, m'aspergeant le visage parfois jusqu'à m'aveugler et rendit mes chaussures aussi glissantes que si j'avais frotté une savonnette sous leur semelle. Je crus plusieurs fois que mon périple se terminerait en bas, après une chute vertigineuse.

Lorsque j'eus suffisamment grimpé pour espérer atteindre mon but, je fus déçue de constater que la fenêtre était plus éloignée de la bande de lierre que prévu. Même en me tenant le plus au bord possible et en tendant les bras, l'opération allait être difficile. Cependant, il était inenvisageable que je renonce après avoir parcouru tout ce chemin et m'être autant fait violence. Aujourd'hui, quoi qu'il arrive, je réussirais à parler à Charles, peu importent les risques que je pouvais prendre pour y parvenir.

Après une rapide inspection qui n'eut pour effet que de confirmer mes craintes, je mis en place une tactique d'approche. À la lisière du lierre, au plus proche de la fenêtre, les branches étaient plus fines et moins aptes à supporter le poids de mon corps. J'allais devoir faire preuve de la plus grande prudence pour me rapprocher un maximum sans risquer de finir au sol, le cou rompu par la chute. Je devais sans cesse changer ma prise car les feuilles s'arrachaient du mur avec tellement de facilité qu'elles me restaient dans les mains à chacune de mes prises. La situation devenait dangereuse et je n'arrivais pas à me rapprocher suffisamment de la fenêtre. Face à la réalité de la situation, je dus rapidement prendre une décision. La pluie redoublait d'intensité et j'étais incapable de redescendre sans voir où j'allais. Je ne pouvais pas non plus rester là jusqu'à ce que quelqu'un remarque enfin ma présence et je ne pouvais plus avancer sans définitivement venir m'écraser au sol. J'étais coincée.

- Charles, l'appelai-je aussi fort que possible. Charles !

Je continuai à le héler à travers la fenêtre, mais n'eus pas de réponse. À vrai dire, je ne savais même pas s'il m'entendait avec le vacarme que faisait la pluie en glissant dans les gouttières. Comme je n'avais pas vraiment l'intention de moisir là, je tentais le tout pour le tout. Je pris mon élan comme je pus et me projetais de toutes mes forces contre la fenêtre. Mon pied gauche resta coincé dans le lierre et je ne réussis qu'à me mettre dans une position encore plus délicate et invraisemblable. Je réussis de justesse à me cramponner à la rambarde de la fenêtre, incapable de me hisser, le pied toujours pris au piège.

Dans ce saut raté, j'émis un hurlement, certaine que j'allais tomber, me casser quelque chose ou pire, mourir. Dans un dernier espoir, alors que mes doigts montraient déjà des signes de faiblesses, mon corps ballant au-dessus du vide, je m'époumonais une dernière fois.

- Chaaaaaaaarles !

J'entendis le bruit rassurant de la fenêtre s'ouvrir et la main forte et solide de Charles apparut pour se faire étau autour de mon poignet. Son visage surgit à l'extérieur comme si mon ange gardien descendait enfin du ciel pour me venir en aide. Il posa l'une de ses jambes contre le rebord de la fenêtre et me hissa de toutes ses forces. Son autre main vint enfin saisir mon deuxième poignet pour me tirer plus fort et plus vite.

Malgré ses efforts, mon pied resta solidement emprisonné dans la végétation. Sentant une résistance, Charles se pencha un peu plus dans le vide et m'ordonna de passer mes bras autour de son cou. Je me cramponnai à lui comme à la vie et j'eus le loisir de penser qu'il ne s'agissait pas là que d'une métaphore. Ses mains enfin libres vinrent s'enrouler autour de ma taille et il me tira de toutes ses forces vers lui.

Il recula à l'intérieur de la pièce et les puissantes racines du lierre se rompirent enfin. Un éclair de douleur traversa alors ma cheville. Il me tira à l'intérieur et une fois certaine qu'un sol en dur se trouvait sous mes pieds, il me lâcha. La fragilité de ma cheville gauche m'entraîna lourdement sur le sol, incapable de soutenir le poids de mon corps. Je me sentis tomber, mais ne fis rien pour m'en empêcher ou amortir ma chute. J'étais à bout de forces. Je heurtai le parquet dans un son mat et dur. La douleur vive de mon pied et l'adrénaline qui retombait d'un seul coup venaient tous deux d'avoir raison de moi. Mon corps n'était plus qu'un poids mort. Charles se pencha sur moi, aussi prévenant qu'en colère. J'étais consciente de l'avoir échappé bel, mais j'étais heureuse. Pour bien des raisons, j'avais cru que jamais plus je ne reverrais son visage.

- Bon sang Margaret qu'est-ce que tu fous ?

Ce n'était vraiment pas dans ses habitudes de jurer. Déjà quelques minutes plus tôt, quand il m'avait claqué la porte au nez, cela m'avait déjà perturbé. Ça ne lui ressemblait pas. Pas besoin d'être un génie pour comprendre qu'il était hors de lui et pourtant, ça m'était égal. Je ne me laissai pas impressionner, j'avais déjà bien assez à faire avec tout ce qui se passait dans mon corps actuellement.

J'étais trempée jusqu'aux os, transie de froid et mon cœur tambourinait dans ma poitrine bien trop rapidement au point d'en avoir la respiration coupée. J'étais sous le choc et je n'arrivais pas à trouver la force de me relever. J'avais l'impression que mon corps ne me répondait plus. Ma tête tournait et une nuée d'insectes blancs et gris virevoltaient devant ma rétine comme l'écran d'une vieille télévision. Je compris alors que j'allais m'évanouir et eus juste le temps de sentir Charles me redresser et passer sa main chaude dans ma nuque. Cela me rappela tellement notre première rencontre. Il repoussa quelques-uns de mes cheveux et murmura plus pour lui-même que pour moi.

- Tu n'aurais jamais dû revenir ici. Ne t'inquiète pas Margaret, je vais m'occuper de toi. PAUL, héla-t-il son majordome. PAUL !

Paul apparut quelques secondes plus tard avec le dévouement d'un saint-Bernard.

- Oui Monsieur ? Mademoiselle Margaret ? s'horrifia-t-il lorsqu'il dut m'apercevoir au sol.

- Aller me chercher des serviettes propres !

- Tout de suite Monsieur !

Quand Paul quitta la pièce, les vertiges commencèrent enfin à s'estomper. Je tentai alors d'ouvrir les yeux. Au lieu du beau et rassurant visage de Charles je ne vis qu'une immense tache blanche.

- Margaret ! se réjouit-il que j'ouvre enfin les yeux.

Mais très vite sa voix devint comme de la brume, sourde et silencieuse. Elle s'évapora en même temps que la lumière blanche et je plongeai dans les ténèbres, inconsciente.

Cœur ArtificielTahanan ng mga kuwento. Tumuklas ngayon