14. J'étais dégoûtée

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Le cours d'art commença normalement; quelques insultes, quelques moqueries, puis tout le monde prit place par paire aux tables, et comme d'habitude je me retrouvai seule, tout devant. Oui, cela me dérangeait, bien-sûr, mais je ne protestais jamais, je ne faisais que subir.

La prof, Mme. Thérve, nous salua, puis nous annonça le thème de notre nouveau dessin: le miroir.

J'eus un choc et sursautai en entendant ce nom, ce qui fit éclater de rire toute la classe. Mais je ne m'en souciai pas. Pourquoi avoir choisi comme thème le miroir? Nous ne pouvons pas dessiner grand chose en se basant sur cet objet. Enfin, ils ne peuvent pas, moi, j'ai des millions et des millions d'idées qui me traversent l'esprit. Je vis toutes mes prochaines victimes se poser sur cette feuille blanche, un décor sanglant, des têtes avec d'effroyables expressions, et surtout moi en premier plan. Non, pas moi, cela éveillerait les soupçons. Plutôt une ombre, sans visage, un peu brouillée, transparente.

Je voyais déjà le magnifique dessin que je pourrai réaliser. Et je me mis à rigoler machiavéliquement. Tout le monde était à nouveau plié. Mais il me semblait ne même pas m'en rendre compte. Peut-être que si, vu que je me mis à rigoler encore plus fort, encore plus diaboliquement. 

Je voyais mon reflet s'afficher dans la vitre de l'armoire, juste devant moi, et je faisais de plus en plus peur. Mes dents me semblèrent si pointues tout à coup! Et mes lèvres paraissaient si pâles et si fines, comme vidées de leur sang. Quelqu'un essayait de me tuer en me vidant de mon sang, j'en étais sûre. Je ne le voyais pas, mais je pouvais le deviner. Et je rigolais, rigolais. Mais j'avais une terrible expression de haine et de froideur sur mon visage, que j'en eu la chair de poule.

Quelqu'un me voulait du mal. Mais la mère de Camille ne pouvait plus haïr personne désormais, elle était tellement détruite. C'était donc quelqu'un de la classe. C'était certain, cela se voyait, cela se sentait. Je devais tuer, encore.

Je me retournai brusquement et commençai à fixer un à un les visages, où l'effroi se lisait clairement. Je souris et rigolai. Ils me faisaient rire, ils étaient si faibles par rapport à moi, qu'ils me faisaient pitié. Mais un d'entre eux ne me faisait pas pitié. Je devais l'attaquer, mais je ne savais pas lequel, ou laquelle. Je continuai donc mon observation. Une des filles attira alors mon attention: Alexandra, qui rigolait discrétement derrière sa table.

Elle me semblait suspecte, pourquoi rigolerait-elle? La situation était tout sauf drôle, surtout pour moi. "Elle me veut du mal", cette phrase résonnait comme une évidence dans ma tête. Cet état des choses devait immédiatement cesser. Mais je n'avais pas le moindre morceau de verre sur moi. Tant pis, j'allais faire avec les moyens du bord. Voilà mon nouveau but; tuer quelqu'un à mains nues, au milieu d'une classe de 20 élèves qui ont tous les yeux rivés sur vous, avec une prof qui pourrait se révéler très autoritaire. Je vous l'accorde, ce but était presque impossible à atteindre. Mais il fallait tenter le tout pour le tout.

Je m'élançai vers elle, réussissant à l'empoigner par le cou dans mon élan. Je crus que sa tête allait exploser, tant elle écarquilla les yeux, qui semblèrent sortir de leur orbite. Elle tenta d'ouvrir la bouche, pour crier sûrement, mais ne réussit qu'à faire resortir sa langue, ce qui me fit presque rigoler. Décidemment cette journée était plutôt drôle!

Personne ne bougeait dans la classe, pas même pas Mme Thérve, qui était agrippée au bureau, pertrifiée par la peur. Tout le monde était tétanisé, incapable de bouger pour aller sauver Alexandra. Elle devenait d'ailleurs de plus en plus bleue, et émettait des respirations saccadées, très désagréables à entendre.

J'allai réussir mon meurtre et prouver à tous que je n'étais pas sans défense, que je pouvais protester et que je ne faisais pas que subir. J'allai être redoutée par tous, plus personne ne m'embêtera désormais, je n'aurai plus à supporter leur insultes de quiconque ici. J'étais encore une fois si fière de moi, si fière de ce que j'avais accompli depuis hier. Je pensais à tout ce que les gens diront quand ils me verront: "Tu vois, elle, elle a réussi à tuer quelqu'un de ses propres mains, alors qu'elle était entourée de toute sa classe! C'est une guerrière, une héroïne!". Mon avenir allait en être bouleversé, tellement amélioré, mais c'était sans compter la venue de notre prof de mathématique, qui vint, je ne sais pour quelles foutues bonnes raisons, frapper à la porte.

Qu'il était stupide celui-là! Pourquoi devait-il encore tout gâcher?! J'allais enfin réussir mon meurtre, mais non, il était obligé de venir tout gâcher cet imbécile!

Personne ne vint lui ouvrir, évidemment, donc cet idiot ouvrit la porte lui-même. Il glissa la tête par l'entrebâillure de la porte, puis voyant sa collègue avec son étrange comportement, il balada son regard, qui se posa immédiatement sur moi. Avant que je n'aie pu comprendre quoi que ce soit, j'étais déjà parterre, à trois mètres d'Alexandra, qui respira comme un nouveau-né qui ouvre ses poumons pour la première fois de sa vie. J'avais raté mon assassinat. J'étais dégoûtée.

Miroir, mon beau miroirOù les histoires vivent. Découvrez maintenant