Chapitre 4

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- Raphaël -

Je suis au volant de ma Jeep. Je roule un peu plus vite que la normale, il faut que j'arrive à me calmer. J'ai les nerfs à vif et j'ai envie de me défouler. Pour qui elle se prend la Parisienne fraîchement débarquée ?! Elle n'y connaît rien à la vie de la campagne ! Elle arrive avec sa belle gueule d'ange et ses cheveux impeccablement coiffés, comment pourrait-elle s'occuper de vaches ? Elle ne va pas supporter de salir ses petites mains fragiles. Rien qu'à la voir, ça se voit que madame a toujours eu une vie tranquille. Papa et maman doivent lui manger dans la main et la petite princesse des beaux quartiers parisiens a toujours dû être protégée.

J'ai lu dans son dossier qu'elle a été condamnée pour possession de drogue. D'après mes renseignements, elle n'a pas un casier bien chargé, je me demande bien pourquoi dans ce cas, elle a écopé d'intérêts généraux ! Madame a dû vouloir jouer la caïd et s'est faite choper, ou bien, a accepté d'aider un petit ami, Les bads boys attirent toujours les gonzesses dans son genre.

Depuis que je suis inscrit dans le programme, on ne m'avait envoyé que des hommes, je m'étais habitué et cela m'allait très bien. Les hommes sont forts, robustes et n'ont pas peur de se casser un ongle ! Bordel, il doit y avoir une erreur quelque part ! Il va falloir que j'appelle Franck pour en savoir plus !

Sa venue me perturbe. Je ne peux pas me le permettre, c'est trop dur ! Sentir son parfum à chaque fois que je suis en sa présence... Depuis la mort d'Elena, je me suis renfermé sur moi-même, refusant de sortir, de voir du monde. Je me suis coupé de tous nos amis, les voir me ramenait à elle, à tous ces souvenirs que l'on avait partagés ... Je ne veux pas oublier, mais je ne veux pas non plus m'en souvenir... Cela fait trop mal !

Elena était toute ma vie, nous étions mariés depuis dix ans. Depuis tout petit, nous étions comme les deux doigts de la main. Voisins, nous avons fait les quatre cents coups ensemble. C'était ma meilleure amie et d'aussi loin que je m'en souvienne, j'ai toujours été amoureux de cette fille. Nos parents respectifs se doutaient de l'issue de nos liens. C'est donc tout naturellement qu'à nos Dix huit ans, je la demandais en mariage lors d'une ballade à cheval, un soir d'été. Elle avait souri et m'avait dit oui. C'était un des plus beaux jours de ma vie. Rares sont les fois ou nous nous disputions, nous étions très souvent d'accord et nous venions du même monde. Nous avons tous les deux grandi dans l'agricole, c'est donc tout naturellement qu'à la mort de mes parents dans un accident de voiture, j'avais pris la décision de reprendre la ferme familiale. Elena m'avait été d'un grand soutien et m'aidait chaque jour au bien-être de nos bêtes. Elle s'était beaucoup investie dans la ferme et trouvait toujours des idées et des projets pour faire d'elle, la ferme la plus enviée du coin. Il y a trois ans, après de nombreux malaises, le docteur nous avait annoncé que la future mère de nos enfants n'était pas enceinte, mais souffrait d'un cancer du sein stade 4. La maladie était bien avancée et les traitements n'auraient pas abouti. Elena refusait l'acharnement et voulait mourir en paix entourée des siens. J'étais totalement contre, j'aurais aimé qu'elle se batte, qu'elle tente le tout pour le tout, mais elle avait refusé catégoriquement. J'en avais été malade ! La colère m'avait envahi et je me rappelle m'être détruit la main sur le sapin bleu, j'avais frappé sans ne jamais pouvoir m'arrêter. C'est Clément qui m'avait plaqué au sol voyant tout le sang couler de mes phalanges. Je me rappelle avoir pleuré comme un bébé dans ses bras, je hurlais et j'en voulais au monde entier. Je ne voulais pas la voir mourir, je ne voulais pas la perdre et finir mes jours sans elle... Mais c'est ce que j'avais fini par faire. C'était son choix et je voulais l'accompagner dans cette épreuve, elle méritait d'être choyée et chouchoutée jusqu'à son dernier souffle.

La lecture était sa passion, mais avec les beaux jours, il était difficile pour elle de supporter la lumière du soleil. J'avais donc fait construire une magnifique terrasse en bois et installer une balancelle avec un petit coin de lecture, pour lui permettre de lire ses bouquins et nous observer de là ou elle était. Elle était très triste de ne plus pouvoir s'occuper des vaches et spécialement des veaux qu'elle affectionnait tant. J'avais donc fait en sorte d'installer une partie du troupeau en extérieur pour qu'elle puisse les admirer et leur parler lorsqu'elle le voulait, sans trop faire d'efforts. Elena s'était attachée à un petit veau avant sa maladie, elle répétait souvent qu'il lui faisait penser à une biche à cause de ses magnifiques yeux en amande. Elle l'avait appelé " Bambi ". Ce petit, qui à la base ne portait pas de nom mais le numéro 2078, avait finalement atterri dans le champ le plus proche de la maison et était devenu très affectueux avec Elena. Il sentait peut-être la douleur intérieure, la vie qui la quittait. Lorsqu'Elena s'en était allée et avait fermé les yeux pour l'éternité, Bambi avait meuglé chaque jour pendant deux semaines. Le chagrin avait tellement pris le dessus, qu'un soir, réconforté par ma bouteille de whisky, je m'étais précipité dans le champ avec mon fusil, ne supportant plus de l'entendre l'appeler. Je voulais en finir, je voulais qu'il cesse de hurler, je ne voulais plus rien... Les larmes ruisselant sur mon visage, la rage qui m'animait... Je voulais l'abattre, mais encore une fois, Clément était intervenu... Aujourd'hui, Bambi, qui est devenu la plus belle vache du troupeau, est tout ce qu'il me reste d'elle....

L'arrivée de Kathy à la ferme est une catastrophe. Lorsque parfois je la regarde, elle provoque en moi un sentiment bizarre que j'extériorise par la colère, je ne sais pas faire autrement, enfin... Je ne sais plus faire... Je dois avouer que c'est une femme magnifique, et qu'elle ne doit pas laisser indifférents les hommes sur son passage, et c'est justement ce qui me rebute. Je sens déjà les problèmes avec ce genre de femme, elle doit avoir l'habitude de jouer de son charme et doit obtenir ce qu'elle veut. Je ne supporte pas ce genre d'attitude et je compte bien le lui faire savoir !

Il est hors de question qu'elle foute le bordel dans ma vie. Je refuse qu'elle détruise les remparts que j'avais construits émotionnellement, je refuse qu'elle m'emmène au fond du trou. Quatre vingt quatorze jours, c'est le temps qu'elle doit effectuer dans ma ferme, quatre vingt quatorze jours à la supporter, elle et ses manières de Parisienne pourrie gâtée !

Soit, tout à l'heure, je me rends compte avoir été un peu trop loin, je me suis laissé emporter. Mais la voir porter " ces " bottes m'a fait péter les plombs ! Je ne savais même pas qu'elles étaient dans le cabanon ; Clément avait dû faire en sorte de les mettre de côté et éviter que je les vois tous les matins en les cachant pour me préserver. Finalement ce n'est pas plus mal ; qu'elle ait peur de moi est parfait, je ne veux surtout pas qu'elle essaie d'être gentille avec moi ou qu'elle s'imagine qu'on puisse devenir de grands amis. Je vais la fuir comme la peste, je vais la rendre chèvre et être avec elle le plus dur possible quand l'occasion se présentera. Plus elle me détestera et mieux ce sera, pour elle comme pour moi.

Il est déjà tard, et dans pas loin d'une heure, c'est l'heure de la traite du soir. Clément va avoir besoin d'aide, et la Parisienne n'est pas encore opérationnelle pour donner un coup de main, je dois donc y retourner. Je fais demi-tour et reviens à mes obligations ; de toute façon, je ne vais pas pouvoir l'éviter tous les jours pendant trois mois, mais elle ne sait vraiment pas à quoi s'attendre !

De retour à la ferme, je gare la jeep dans le hangar, près des tracteurs et des machines pour la récolte. De loin, je vois Cookie jouer avec le chat dans le champ, près du bâtiment d'exploitation ; ils sont inséparables ces deux-la ! J'ai remarqué tout à l'heure que le chien s'était pris d'affection pour elle... Ca doit être ce maudit parfum qui a dû rappeler à Cookie sa fidèle maîtresse...

Sans plus attendre, je me dirige vers le cabanon pour m'habiller et me préparer. J'enfile ma cotte et mes bottes et me dirige vers la stabulation. Aucune âme qui vive, juste les vaches qui me regardent. Je remarque qu'il en manque une partie... Je me précipite vers la salle de traite et m'arrête net. Je vois Clément et Kathy nettoyer le pie des vaches et blaguer comme s'ils se connaissaient depuis un bon moment. Ça m'énerve ! Je ne veux pas m'attacher à elle, mais je ne veux encore moins que Clément le fasse ! C'est mon meilleur ami, il doit être solidaire !

Je suis étonné de la voir déjà au boulot, je remarque que Clément lui explique comment faire et le pire dans tout ça, c'est qu'elle se débrouille bien... Après cette première étape, je vois Clément se placer dans son dos et lui montrer comment installer les griffes de traite. Elle se laisse faire, mais je remarque quand même qu'elle n'est pas à l'aise. Elle a dû taper dans l'œil de Clément, c'est certain à son attitude, et bizarrement, très bizarrement même, ça me déplaît. Je ne comprends vraiment pas pourquoi je réagis de la sorte ! Ils ne m'ont pas remarqué, je file.

Je décide d'aller chercher le tracteur pour m'occuper de la litière des vaches, puisqu'ils n'ont pas besoin de moi ! Toutes sortes de pensées me traversent l'esprit, et je déteste ça ! Je n'ai qu'une envie, c'est d'avancer le temps, qu'elle retourne d'où elle vient et qu'elle ne revienne jamais ! Énervé et épuisé mentalement de cette journée, déterminé, je me dirige vers le hangar, plus décidé que jamais à lui faire vivre un enfer ! Peut-être que ça adoucira la douleur qui germe depuis maintenant deux ans... 

FARMING LOVE De Emilie C.HTahanan ng mga kuwento. Tumuklas ngayon