Chapitre 12 : révélations

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Melle Marion et Martinez attendaient la suite depuis un chapitre. Qu'allait pouvoir révéler Lui ?

Ce fut Martinez qui s'impatienta, et posa la question que tous attendaient après avoir lu le résumé de l'œuvre :

« Mais c'est quoi ces pèlerins ? Des gens qui se promènent sur les chemins de Saint Jacques de Compostelle ?

- Non, rien à voir, répondit Lui, embarrassé. Cela vous est-il déjà arrivé de vivre des situations dont vous vous êtes sortis in extremis, comme une voiture qui vous frôle sans vous toucher alors que vous traversiez la route, comme ce verre qui aurait dû se briser en tombant au sol mais que vous retrouvez intact ? Ou bien un objet que vous retrouvez au matin, après l'avoir cherché toute une soirée, ou quelque chose que vous vous félicitez d'avoir fait, sans trop vous rappeler quand vous avez bien pu y penser ?

-Vous voulez dire quand la tartine tombe sur le bon côté, celui sur lequel il n'y a pas de confiture ? illustra Martinez.

-Ou quand une personne court dans une maison à la recherche d'hippopotames sans regarder où elle va, et menace de chuter contre l'armoire du salon, et qu'on arrive à le rattraper au dernier moment ? suggéra Melle Marion sans réfléchir.

-Vous avez un exemple précis en tête ? s'interrogea Lui.

-Euh, je disais juste ça pour alimenter la conversation, éluda la jeune femme en rosissant discrètement.

-C'est bien de ce genre de situations que je vous parle. Eh bien, dites-vous que parfois, la chance n'y est pour rien, et ce sont les pèlerins qui agissent, en restant invisibles aux yeux des hommes. Ce sont des petits êtres qui accomplissent toutes ces choses. Il y en a de toutes sortes, chacun affecté à une zone d'intervention, et ils doivent faire de leur mieux pour que notre monde tourne rond.

-On peut dire qu'ils ont pas mal foiré leur coup, commenta Martinez à voix haute.

-C'est qu'ils n'ont jamais été bien nombreux, expliqua Lui, et leurs pouvoirs sont limités. Ils ne peuvent agir que sur de petites choses : bouger un objet, raccommoder un habit. Ils sont très doués, mais pour les petites tâches du quotidien, et ils ne se préoccupent pas des grandes choses comme ils les appellent : « les grandes choses sont pour les grandes personnes », c'est une des premières paroles que j'ai entendue de leur part. Ils doivent intervenir de préférence la nuit, sauf cas d'extrême urgence, depuis le scandale de 1753 où l'un d'eux a été aperçu en train d'aider un tailleur en Rhénanie. Ça avait fait tout une affaire à l'époque, et ils ont décidé de renforcer leurs mesures de sécurité.

-Mais si ce que vous dites est vrai, pourquoi ne se manifestent-ils pas plus souvent, et au grand public ? demanda Melle Marion. L'humanité aurait tellement à y gagner !

-Hélas, ils s'en dispensent pour plusieurs raisons. Déjà, ils craignent beaucoup que nous ne les exploitions à notre avantage, et on peut les comprendre. D'après ce que j'ai compris, à l'époque où ils vivaient au grand jour, un certain nombre des leurs a travaillé en Egypte il y a plusieurs milliers d'années, et ça n'avait pas l'air d'être une sinécure. Ensuite, ils pensent que si les humains connaissaient leur existence, ils deviendraient fainéants et ne chercheraient plus à travailler par eux-mêmes.

-Ca se tient, admit Melle Marion. Vous avez dit qu'ils étaient invisibles, mais pourtant si on prend l'histoire du tailleur et la vôtre, ça fait au moins deux cas où ils ont été vus...

-D'après ce que j'ai compris, normalement seuls les petits enfants et certains animaux peuvent les voir : les chats, et les lézards par exemple.

-Les lézards ? s'étonna Martinez. Mais pourquoi donc les lézards ?

-Ils ne se sont pas attardés là-dessus. Je n'ai passé que peu de temps chez eux, et ils m'ont parlé de beaucoup de choses, mais je suppose aussi qu'ils en ont passé encore plus sous silence. Pour l'affaire du tailleur, il semblerait que ça soit sa femme qui les ait aperçus en train de terminer des costumes. Apparemment, la dame était plutôt revêche et n'accepta pas que son mari se le coule douce, et elle les aurait chassés à coups de balai, avant de hurler à la mort et au démon. Heureusement pour eux, cette personne avait une réputation tellement mauvaise que personne ne l'a crue. Elle a bien fait venir un exorciste après, mais ça n'a évidemment rien fait aux pèlerins. Il faut dire aussi qu'ils avaient pris la décision d'éviter les lieux après cet accident, et que l'agent du secteur a obtenu une mutation nécessaire. En constatant qu'elle avait pu les voir, ils ont cru à l'époque à un hasard, ont un peu enterré le sujet avec le temps, mais quand ils ont compris que je pouvais les voir aussi, ils ont voulu en avoir le cœur net, et c'est pourquoi ils m'ont invité chez eux. Malgré tout, je pense qu'ils ne savent pas pourquoi je peux les voir, ou alors ils se sont abstenus de m'en parler.

-Et le flash, c'était quoi alors ? poursuivit Melle Marion.

-Ce doit être leur moyen de déplacement qui occasionne ça. Il faut avouer que c'est assez déroutant.

-En effet, admit-elle, j'ai été plus que surprise. A quoi ça ressemble chez eux ?

-C'est un drôle d'endroit, ils vivent principalement sous terre, même s'ils m'ont dit avoir beaucoup de lieux de vie différents. Ils n'ont pas voulu m'en dire trop non plus sur ce sujet. Ce qui est sûr, c'est qu'ils accordent beaucoup d'importance au fait que je puisse les voir. C'est parce que leur mode de vie est menacé, voyez-vous : ils n'ont jamais été bien nombreux, et depuis quelques temps, leur nombre diminue de manière alarmante. Il faut dire que l'activité humaine a tendance à leur nuire, ils sont en quelque sorte reliés à la Terre, et si celle-ci souffre, eux-aussi en pâtissent. Je vous laisse donc imaginer qu'ils ne sont pas particulièrement à la fête en ce moment. Mais récemment, le mal s'est encore aggravé, et ils ne savent pas pourquoi. Je pense qu'ils comptent un peu sur moi pour les aider, et... attention, reculez d'un pas s'il vous plaît.

-Pourquoi donc ? demanda Martinez qui essayait de suivre toute l'affaire, et dont les yeux roulant furieusement dans leurs orbites indiquaient une activité cérébrale intense. Ajouté à son teint qui avait pris une teinte plus rouge que jamais, on aurait dit une bouilloire prête à exploser. Melle Marion s'était quant à elle prudemment placée un peu en arrière à la demande de Lui.

-Parce que voilà venir ... » la phrase de Lui s'interrompit au moment où un éclair de lumière éclatait dans le salon. Au milieu du fracas et des petits cris aigus de Martinez tombé sur son postérieur, deux pèlerins apparurent dans le salon. Le petit vert replet arborait un sourire satisfait, tandis que le plus grand bleu et maigre regardait autour de lui d'un air craintif.

« ...Roger et Jean-Paul, acheva Lui ».

Les pèlerinsWhere stories live. Discover now