Chapitre 1

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Le docteur avait adopté un air fâché, effrayant ainsi la jeune fille qui lui faisait face. Elle s'excusa aussitôt, ses yeux bruns noyés de regret et sa voix tremblante. Avec les plus jolis mots qu'on lui avait appris, elle essaya de se rattraper, de réparer ce qu'elle venait de faire mais un soupir appuyé du docteur lui fit comprendre que c'était en vain. Il secoua la tête en signe de désapprobation.

« Chaque désobéissance doit être punie. » Il avait répété cette phrase tant de fois auparavant qu'elle la connaissait par cœur. « Il est temps que tu arrêtes d'aller à l'encontre des règles, tu sais que nous détestons ça et tu ne veux pas que nous te détestions, n'est-ce pas ? »

Elle secoua la tête. Non, bien sûr que non ce n'était pas ce qu'elle voulait. Au contraire, elle voulait qu'ils soient fiers d'elle. C'était pour cette raison qu'elle repoussait ses limites un peu plus chaque jour. Mais parfois elle ne parvenait pas à retenir sa curiosité, alors elle posait les mauvaises questions et se baladait aux mauvais endroits. Les docteurs détestaient ça. C'est pourquoi en plus des punitions qu'elle recevait si elle accumulait trop d'échecs, s'ajoutaient des punitions visant à corriger son comportement. Elle les méritait. Si les docteurs les trouvaient justes, alors elle les méritait toutes.

Les sueurs froides qui commençaient à l'envelopper firent coller ses cheveux court à sa nuque. Elle était plus pâle que jamais, comme si elle essayait de disparaître à la manière d'un caméléon en imitant les murs blancs des couloirs du laboratoire. Le docteur quant à lui n'affichait pas le moindre signe de stress. D'un ton sec et dénué de compassion, il lui ordonna de lever son bras gauche. Elle s'exécuta sans discuter, levant son bras aussi droit que possible devant elle, la paume tournée vers le bas. Il plongea une main dans sa poche pour en sortir un petit étui et elle senti ses muscles se contracter sous l'anticipation lorsqu'il l'ouvrit, en extrayant une lame de rasoir. Il attrapa fermement son poignet d'une main et imposa son regard dans le sien, l'obligeant silencieusement à lever les yeux vers lui.

« Numéro Neuf, tu mérites cette punition. »

Elle fit oui de la tête puis serra les dents lorsqu'elle senti la lame s'enfoncer dans la chair de son bras, puis tracer une ligne horizontale juste au-dessus des marques de ses autres punitions. Tout son corps fut secoué d'un tremblement qu'elle ne parvint pas à contrôler tant la douleur lui était difficile à supporter. Des gouttes de sang roulèrent sur son bras et s'écrasèrent au sol. Elle avait envie de crier, de le repousser, de manifester sa douleur de quelconque manière mais cela n'avait pas lieu d'être. Elle serait une idiote d'agir ainsi. Alors elle se tut, continua de trembler en se contentant de froncer les sourcils. Une fois la lame retirée, elle ramena avec précaution son bras le long de son corps mais n'osa pas y toucher. Elle n'en avait pas le droit. Le docteur ne l'avait pas quittée du regard pour s'assurer que la punition n'était pas vaine, et la réaction du sujet avait dut lui plaire puisqu'il afficha un air satisfait tout en essuyant la lame qu'il rangea ensuite avec précaution dans son étui.

« Tu n'es pas notre meilleur sujet, tu n'est pas la plus aboutie ni la plus puissante. Nous pouvons faire mieux que toi. Alors tu ferais mieux d'obéir, si tes punitions recouvrent tes deux bras nous serons obligés de prendre des mesures drastiques. »

Certains mots lui échappaient, mais elle comprit grâce à son ton grave que « drastiques » ne signifiait rien de bon. Pire, ce mot avait l'air de cacher des choses si terribles qu'elle se refusa de les imaginer. Le docteur lui offrit un sourire froid, lui donna le mouchoir en tissu qu'il avait utilisé pour nettoyer la lame avant de tourner les talons pour s'avancer dans le couloir.

« Nettoie tes saletés et va dans ta chambre. »

Numéro Neuf resta figée quelques instants et attendit de voir la blouse blanche du docteur disparaître à l'angle du couloir pour essuyer les larmes qui dévalaient ses joues et lui piquaient les yeux. Son cœur palpitait alors que des gouttes de sang continuaient de s'écouler le long de son bras. Elle était frustrée, non seulement elle avait monstrueusement mal au bras, mais le docteur en avait profité pour lui rappeler à quel point elle n'était pas le sujet parfait. Plus que tout au monde, elle voulait les rendre fiers, mais ces derniers temps elle n'avait le droit qu'à des reproches. Elle faisait ce qu'elle pouvait, s'efforçait à désobéir le moins souvent possible mais rien n'y faisait. Les docteurs n'avaient pas l'air contents de leur travail avec elle. Ils avaient décidé de faire rentrer dans son crâne qu'il y avait mieux qu'elle, et qu'elle n'était pas suffisamment douée. Et elle les croyait.

Elle aurait tant voulu être le sujet qu'ils voulaient qu'elle soit.

Mécaniquement mais tout de même avec application, elle essuya le sang qu'elle avait elle-même versé, colorant ainsi un peu plus le mouchoir blanc de rouge. Après avoir plié le tissu en quatre, elle le pressa contre sa nouvelle coupure encore ensanglantée et se dirigea vers sa chambre. Sa respiration n'était pas encore tout à fait calmée, son cœur ne s'était pas encore remit de cette dernière punition. La douleur qui lui brûlait le bras ne fit rien pour arranger les choses, et c'était justement pour cette raison que les docteurs avaient choisit cette punition. La sanction était douloureuse,laissait une marque et se gravait autant dans l'esprit que dans la chair.

Une fois rentrée dans la petite pièce quasiment vide que l'on appelait sa chambre, elle rinça sa blessure et humidifia le mouchoir dans le petit lavabo qui ne laissait jamais s'échapper plus d'un fin filet d'eau, puis continua d'appuyer sa compresse de fortune contre son bras. Elle avait encore mal, vraiment mal. Mais c'était de sa faute. C'était mérité. Si elle continuait de désobéir, alors elle ne serait jamais un bon sujet.

D'un pas chancelant, elle se glissa jusqu'à son lit et s'y assis. Elle ferma les yeux en soupirant, puis pressa un peu plus ses paupières pour ne plus percevoir que du noir. Elle se concentra sur un visage : un garçon, avec des cheveux bruns de la même longueur que les siens, de grands yeux verts et un tatouage sur le poignet. Elle se concentra sur sa localisation : deux pièces plus loin.

Et elle l'appela. Assise dans l'ombre de ses paupières, elle l'appela.

« Dix ? »

Et quelques secondes plus tard, elle obtint une réponse.

« Neuf ? »

Dés l'instant où la voix résonna dans sa tête, elle ouvrit les yeux. Sa chambre avait disparu pour laisser place aux ténèbres, seul son lit l'avait suivie. Elle repéra aussitôt un lit identique au sien un peu plus loin. Sur le lit était assis Dix.

Elle ne désobéissait pas, pas exactement. Les docteurs encourageaient ces rencontres, en tout cas ils ne les interdisaient pas puisque cela faisait parti des choses que les deux sujets réussissaient le mieux. Ils communiquaient entre eux plus facilement qu'avec les docteurs ou des inconnus. Abandonner la piste aurait été stupide.

Numéro Dix se leva, il était habillé du même uniforme blanc que Numéro Neuf et produisit des bruits d'éclaboussures en se rapprochant. Il rejoignit rapidement le lit et s'assit en face d'elle. Alors qu'il lui adressait un sourire doux, ses yeux rencontrèrent les traces de larmes sur les joues de son amie et trouvèrent le mouchoir sanglant posé contre son bras. Son sourire s'évanouit et son cœur se serra.

« Encore ? » demanda-t-il à mi-voix.

Elle ne répondit pas, la réponse était évidente.

« Pourquoi ? »

« Curiosité. J'ai posé une mauvaise question. »

Avec le plus de douceur possible, il attrapa sont bras blessé et se rapprocha un peu d'elle. Elle le laissa repousser le mouchoir, regarder la marque d'un œil peiné puis appuyer lui-même le pansement contre la plaie. De son autre main, il fit légèrement glisser ses doigts sur les autres cicatrices, comme il avait l'habitude de le faire. Il n'avait pas besoin de lui demander à quel point elle avait mal, elle le lui avait déjà dit avec ses yeux. Il savait aussi qu'elle acceptait la punition malgré la douleur, qu'elle pensait le mériter. Il le voyait.

Numéro Dix réfléchit un moment avant de parler pour s'assurer de choisir les bons mots. Les docteurs se s'étaient décidés à leur apprendre plus de vocabulaire que lorsqu'ils avaient comprit que leur spécialité était la communication.

« Si un jour les docteurs n'ont pas raison, tu les laissera te punir ? »

« Les docteurs ont toujours raison. »

Il hésita à répondre, mais décida de se taire. Elle avait raison, il n'y avait rien à objecter. Mais parfois, des pensées étranges se glissaient dans sa tête. Lorsqu'il la voyait ainsi, livide, le corps et le regard blessé, il n'était plus sûr de savoir ce qui était bien ou mal. Même si les docteurs leur avaient apprit.

Numéro Dix leva la tête, ils échangèrent un regard, et communiquèrent plus dans ce regard qu'ils ne l'avaient fait avec les mots. Leurs doigts s'entrelacèrent et ils se penchèrent jusqu'à se retrouver front contre front. Dans cette position, tout près l'un de l'autre, ils se sentaient bien.

BrisésWhere stories live. Discover now