- Depuis sa majorité ! Monsieur est devenu riche très tôt.

- Est-ce qu'il vous a envoyé pour que vous me disiez du bien de lui ? Non parce que ce serait très étrange n'est-ce pas ?

- Oui bien évidemment et non ce n'est pas l'objet de ma visite. Il...

Paul n'eut pas le loisir de finir sa phrase car Gab venait de faire son apparition devant ma porte d'entrée, totalement hystérique, une bouteille de vin blanc à la main. Durant les quinze premières secondes, elle occulta carrément la présence de mon visiteur, secouant sa bouteille en l'air comme s'il s'agissait d'un trophée. On aurait pu croire que je buvais plus que de raison, mais la vérité, c'était que c'était Gabrielle qui m'incitait à boire. Seule, ça ne m'arrivait jamais.

- Waouh ! Salut ma poule, regarde ce que j'amène ! clama-t-elle pleine de fierté sous les yeux mi-étonnés mi-désapprobateurs de Paul.

Elle remarqua enfin sa présence et le dévisagea comme si elle avait devant elle un pantin de bois capable de bouger et de parler sans la moindre intervention humaine. Oui Pinocchio !

- Je croyais qu'on était que toutes les deux ! s'étonna Gab en se glissant entre lui et le montant de porte.

Comme elle passa sur la pointe des pieds, sa poitrine effleura exagérément le torse de Paul qui se mit à rougir sous la pression.

- Tu ne me présentes pas ? minauda-t-elle en le dévorant du regard.

N'avait-elle aucune retenue ?

- Je ne le connais pas, m'empressai-je de répondre avant que Paul ne fasse une boulette. C'est le traiteur !

- Le traiteur ? répéta Paul. Vous voulez que j'aille vous chercher quelque chose à manger ? proposa-t-il.

- Non, non, c'est bon. Vous m'avez déjà apporté tout ce que j'avais commandé, ça ira. Je vous remercie, au revoir, le saluai-je dans la précipitation afin de refermer la porte au plus vite.

La porte claqua et je fus enfin sortie d'une situation complexe et dangereuse. Je m'en voulais pour le pauvre Paul, d'autant plus qu'il ne m'avait pas délivré le message qu'il devait me faire passer. Tant pis, j'aurai bien des occasions de parler avec Charles au téléphone. S'il avait quelque chose à me dire, rien ne l'empêchait de m'écrire un sms au lieu d'importuner ses employés même quand il n'était pas là.

- La vache ! s'exclama Gab qui s'était déjà faufilée dans la cuisine. Tu les as eues où ces fleurs ?

Je la rejoignis rapidement pour étouffer dans l'œuf toutes ses envies de mettre son nez partout. C'était une seconde nature chez elle, un vrai détective privé. Je n'avais pas encore mis les amuse-gueules sur la table qu'elle grignotait déjà des bâtonnets de carottes crus avec du houmous.

- J'ai craqué en rentrant des cours, mentis-je. Je suis passé devant un fleuriste et je les ai trouvées magnifiques.

- En voiture ? Il n'y a pas de fleuriste sur ton chemin, insista-t-elle.

Le pire, c'est qu'elle ne cherchait même pas à me coincer. Je n'étais pas menteuse pour un sou et elle le savait très bien, du coup, elle cherchait plus à me faire la conversation plutôt que de me mettre à l'épreuve de ce nouveau vice qui prenait de plus en plus de place dans ma vie à mesure que les jours passaient.

- J'ai dû aller faire les courses pour ce soir et je suis passée devant à ce moment-là.

- Ben pourquoi t'a commandé chez un traiteur si t'as fait les courses ?

Là ça commençait à devenir compliqué de s'en sortir brillamment. Je me saisis du gros bouquet de pivoine et le déplaçais pour le mettre sur la commode. J'en profitai pour en humer le parfum délicat et passer mes doigts sur la douceur de ses pétales.

- Je n'ai pas trouvé ce que je cherchais.

- Et t'as commandé quoi ? demanda-t-elle en se rapprochant du plan de travail.

- De la pizza...

Qui allait croire que moi, qui ne commandai jamais de nourriture à emporter de peur d'avoir une intoxication alimentaire, j'avais fait venir une pizza ? Gab jeta un œil au plat d'un air dubitatif et haussa les épaules tout en mâchouillant son morceau de carotte. Nous commencions à mettre la table quand mon portable, posé sur la table basse, se mit à sonner. Pendant que Gab déboucha la bouteille, je me dirigeais vers la télévision pour l'allumer, mettre notre série préférée et récupérer mon téléphone par la même occasion.

Le salon et la cuisine ne formant qu'une seule et même pièce, nous adorions manger toutes les deux en regardant une bonne série palpitante. Tout, ou presque, nous convenait. Les histoires de zombies, d'amour, comique, bref tout. Tout en zappant sur la chaîne de notre programme, je jetais un œil à l'écran de mon téléphone qui sonnait toujours.

" Charles Potens" s'illuminait en lettres capitales au-dessus d'une animation de combiné de téléphone vert qui vacillait de gauche à droite. Mon cœur se serra d'envie de répondre, mais ce n'était ni le lieu ni le moment. Pour ne plus être dérangée et ne pas tenter le diable, j'éteignis mon téléphone.

Cœur ArtificielWhere stories live. Discover now