Chapitre IV : Vivre

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Le bus prend un virage serré pour s'engager sur la rocade et tout le monde s'accroche pour ne pas tomber sur son voisin. Je travail depuis près d'un an à l'usine, enfin pas seulement pour celle-ci. Les contrats portent surtout sur quelques mois, je crois que c'est fait exprès pour ne pas nous laisser imaginer un futur dans ces entreprises. C'est plutôt une bonne chose car même si les contrats payent je ne m'imagine pas finir ma vie en portant seulement des cartons. Certains de mes collègues sont vraiment âgés et je ne cesse de me demander comment ils peuvent continuer à travailler. Ils m'inspirent le respect.

 - Hé mais c'est le petit David.

 - Oh, Patrick vous êtes là ! Traversant le bus en m'accrochant au plafond je rejoins l'homme qui s'est exclamé.

 - C'est toi que j'espérais ne plus revoir dans ce bus. Me fait-il sur un ton grognon que je lui sais affectif, son visage ridé aux yeux creusés se pliant dans une légère moue.

 - On rechigne pas sur un peu d'aide à la maison.

 - Mais ton père tiens toujours la grosse boutique dans le coin de la rue ?

 - Grosse grosse, je dirais pas qu'elle est si grande mais oui.

 - Et même pour lui c'est compliqué... Aujourd'hui l'État nous prend tout mon petit, il nous prend tout.

 - Vous en faîtes pas Patrick, vous toucherez les retraites bientôt non ?

 - Ça fait un moment que je devrais les toucher les vraies retraites mon petit ! Mais oui dans deux mois c'est fini l'usine pour moi.

 - Profitez bien de vos derniers emballages alors. Lui dis-je accompagnant mon propos d'un clin d'œil qu'il capte avant de rire doucement, rapidement rattrapé par une petite quinte de toux.

Patrick m'avait dit que dans sa jeunesse il a été soldat pour l'armée du pays. Défendre le territoire et les intérêts de la patrie chez les autres comme il le dit. Il a involontairement tout laissé derrière lui, une femme enceinte de gosses qu'il n'a jamais pu voir grandir et qui aujourd'hui le considèrent comme un lâche. Pauvre Patrick, si ils le connaissaient ils découvriraient qu'il est bien gentil pour un vieux monsieur. Rentrer au pays il n'a jamais reçu les aides normalement attribuées aux soldats à cause d'une maladresse administrative. Toute sa vie il s'est battu pour survivre.

Même en partant ailleurs au nom du pays il n'a pas été heureux, enfin je ne crois pas. Ici ou ailleurs qu'elle est la différence au final, papa a sûrement raison en mettant en avant la convenance de nos vies. Le bus se gare sur le côté de la route près de l'arrêt associé et nous descendons tous en silence pour rejoindre nos lieux de travail respectifs.

Cartes de présences passées et gants enfilés je repère mon nom sur le plan de la soirée pour découvrir ma première place. Presque automatiquement ensuite je vais m'y mettre pour prendre le relais derrière mon collègue qui finit sa nuit là ou je la commence. La répétition de l'activité me permet presque de ne plus du tout pensé à ce que je suis en train de faire. La tête ailleurs, je reste perplexe vis à vis de la réaction de papa, quelque chose en moi m'inspire à ne pas rester sur ce " C'est pas le meilleur, mais c'est pas le pire non plus ".

A la télé les gens ont l'air de vivre heureux et je suis sur d'ailleurs qu'ils gagnent presque le double de mon salaire en faisant ce qu'ils font. Je sais que tout le pays n'a pas le mode de vie des cités, ailleurs les familles ont des maisons avec des jardins entier pour cultiver des tomates entre la terrasse et la piscine construite grâce à un emprunt monstrueux. Plus haut qu'eux je suis sur que les personnes qui dirigent la télévision et même les réseaux sociaux sont loin de notre réalité, peut-être même qu'ils n'ont pas besoin de faire d'emprunt pour construire une piscine, ce sont même eux qui prêtent l'argent aux autres pour construire des buildings. Dans un des magazines de ma mère j'ai vue un jour le nom de Bill Gates, à la télé on parlait de lui comme de la plus grosse fortune au monde. Pourquoi un homme avec tout cet argent n'aide pas des gens comme nous ?

Un jour j'me casse.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant