Saint Jean de Luz

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Il y avait de la lumière dans la cuisine, au 53, Vieille Route de Saint Pée à Saint Jean de Luz. Le matou attrapait les rayons de lune et déambulait sur le toit du voisin en se posant de temps en temps pour observer les mouvements dans les feuillages. Il avait les moustaches hypersensibles et sentait que le vent allait se transformer en pluie. Le mois d'octobre, c'est plein de phénomènes à observer avec tout ce qui tombe des arbres. 

C'était la pleine lune, un disque à peine masqué de temps de temps par les nuages. En bas dans la rue, il y avait quelque chose qui avait cessé de bouger. Une silhouette s'était arrêtée au coin de la maison. Elle regardait dans le vide, ça devait être un homme d'un certain âge. Il avait remonté le col de son manteau sombre, il ne faisait pas si froid, il ne voulait pas qu'on le voit. Il semblait ne plus rien attendre. Il avait les deux pieds dans une flaque. 

Il ne savait pas s'il était mort, il n'était pas trop sur. Mais il n'était pas mort pour le reste du monde, tout le monde le voyait même si ça l'embêtait. Toute la journée il avait marché, fait des kilomètres à pied alors qu'il aurait pu prendre le bus. Une trentaine de kilomètres ça lui avait pris des heures. Il était presqu'arrivé à destination. C'était la maison qui l'arrêtait, la porte qui lui faisait peur. 

Le chat gris et blanc décida de lui montrer le chemin. Il entreprit d'abord de sauter sur le auvent puis de descendre la pente sur le tissu tendu, de sauter dans la glycine puis sur la niche du chien qui dormait dans la maison. Arrivé dans la rue, il alla se frotter aux jambes de cet humain.  En s'en approchant il se dit qu'il l'avait déjà vu quelque part lors d'une vie antérieure. La lune éclaira un instant le visage de cet homme qui avait vécu dans cette maison, il y a longtemps alors qu'il était un enfant. 

Le regard de l'homme se posa enfin sur des endroits nets. Le paysage s'imposait à lui comme une évidence, il connaissait tous les coins, toutes les ombres, même si les jardins avaient changé. Il n'avait pas grimpé la côte en vélo depuis des dizaines d'années. De l'autre côté, tout le long de la rue il y avait des arbres accrochés à un petit coteau. C'était son poste d'observation des voitures et des insectes. Sa dernière année ici restait plus floue, les évènements incertains. Certains souvenirs on ne sait plus si on les invente. La nuit, en ce moment précis se confondait avec milles autres nuits que plusieurs de ses vies avaient laissé derrière lui. Il aurait voulu que cette confusion dévale jusqu'au bas de la rue et disparaisse. Mais tout ce poids était en lui et le ralentissait, il envia un instant la légèreté du chat qui s'était posté sur un des piliers de la palissade, et qui assis continuait à le fixer.

Dans les yeux du chat gris et blanc des scènes de la vie de l'homme se reflétaient. Le souvenir de la mort de son grand-père s'associait à la maison. Après ce décès, il n'était pas resté seul avec sa grand-mère, il avait quitté l'école tôt puis s'était engagé dans l'armée, il avait voyagé, puis était revenu depuis longtemps dans la région. Tout jeune, il était parti seul, puis avait vécu en couple, puis revenait de nouveau seul. Il ne savait plus trop ce qui l'avait décidé à revenir sur ce trottoir, peut-être que la honte d'être parti sans prévenir s'était en partie estompée. Il avait aussi le sentiment de ne plus avoir trop de temps.

On venait de passer à l'heure d'hiver et la nuit était tombée depuis longtemps. Sébastien se décida et avança vers la maison. Le chat gris le suivit en retrait de quelques mètres. Les arbres de l'autre côté de la rue semblaient figés dans leur préparation de l'hiver. La grande transition vers le froid les occupaient à plein temps. Ils étaient concentrés sur le ralentissement de leur être, mais dans la dormance qui se préparait leurs racines continueraient à pousser et ils se protégeraient contre le gel. Le chat vif se dit " Si rien n'est immobile, tout est lent. Si rien ne meurt jamais tout à fait, la vie est une lutte universelle. " Et il eut une pensée furtive pour les souris.

Sébastien sentit que son élan était bon. Il n'y avait même pas de grille. L'homme descendit dans la courette et gravit les escaliers jusqu'à la porte d'entrée. Il sonna plusieurs fois, il était tard, il était possible qu'elle ne lui ouvre pas. Il sentit sa présence derrière la porte.

- Grand-mère, j'ai décidé de revenir, je n'ai jamais été très loin. La porte s'entrouvrit et un vieux visage se pencha.

- ... Sébastien ... Entre. Tu ne m'aurais pas appelé grand-mère, je ne t'aurais peut-être pas reconnu.

La porte se referma sur eux dans un espace que le temps avait depuis longtemps déserté, le chat remonta sur un autre toit et observa les feuilles tomber. Il pensa qu'il y aurait de nouveau quelqu'un pour les ramasser.


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⏰ Dernière mise à jour : Nov 02, 2017 ⏰

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