Morsure (histoire complète)

Solstice d'hiver

Solstice d'hiver

Shyle frissonna, ses mains gantées enfouies dans ses poches. Elle était gelée malgré ses épais sous-vêtements de laine, sa robe de velours doublée et son long manteau. Le froid de la neige dans laquelle elle s'enfonçait jusqu'aux chevilles transperçait le rempart de ses bottes fourrées. Elle tenta sans succès de remuer les glaçons qui lui servaient d'orteils.

Quelle idée stupide de se promener seule dans la forêt, sous prétexte qu'il faisait beau ! Beau, certes, mais glacial aussi.

L'après-midi touchait à sa fin. Elle prit le chemin de l'animalerie, afin de partager une infusion brûlante avec Juliann. Le palefrenier avait toujours une pléthore d'histoires sur les animaux et les monstres à raconter, et cela la distrayait.

Pour la dernière fois de la journée, elle chercha à visualiser les lignes d'énergie. Elle ne ressentit rien. Ou plutôt, si, elle sentit que ses doigts perdaient leur sensibilité. Elle soupira.

Le crissement de ses pas sur la neige lui emplissait les oreilles. Il lui semblait cependant entendre autre chose. Elle s'arrêta. Les bois étaient silencieux. Elle haussa les épaules et reprit sa marche, scrutant le sentier pour ne pas se tordre une cheville sur une racine.

Soudain, elle eut la certitude de ne pas être seule. Des vibrations à mi-chemin entre la couleur et le son troublaient ses sens. Les lignes d'énergie, comprit-elle. Enfin, elle les discernait. Elle écarquilla les yeux et s'immobilisa pour affiner ses perceptions. Elle capta deux présences qui perturbaient leur équilibre. Ils se trouvaient... au-dessus d'elle !

Elle bondit de côté. Trop tard. Un filet lancé par un homme trapu aux cheveux crasseux s'abattit sur elle. Elle tomba à genoux dans un cri. Avant qu'elle ait pu rassembler ses esprits, il sauta à terre, passa les mains entre les larges mailles, saisit un de ses poignets et referma un bracelet métallique autour. Aussitôt, sa magie la quitta. Elle se mit à hurler. Une paume gantée s'écrasa sur sa bouche. Le sang suinta de sa lèvre fendue.

— C'est inutile, ma belle, nous avons veillé à ce que personne ne puisse t'entendre, susurra une voix de baryton à son oreille. Et si tu t'obstines à chanter la sérénade, je m'assurerai que tu ne puisses plus prononcer un son. Compris ?

Shyle hocha imperceptiblement la tête. La main se retira.

Le second homme descendit de l'arbre. Il était grand et maigre, avec un visage quelconque encadré d'une tignasse blonde. Ils soulevèrent le filet. Empêtrée dans ses jupes mouillées, elle se remit avec peine sur ses pieds. Les deux acolytes la contemplaient sans rien dire.

— Que me voulez-vous ? murmura-t-elle.

— Ton sang.

Sa gorge se serra, un poing se referma sur son cœur. Le sang des sorcières, même en devenir, valait une fortune au marché noir. Ces hommes allaient la saigner à blanc.

Tentant le tout pour le tout, elle s'élança en direction du Collège. Après quelques mètres à peine, elle trébucha dans ses jupons et chuta de tout son long dans la neige. Se relevant tant bien que mal, elle réalisa que ses agresseurs n'avaient pas esquissé un geste pour la retenir.

Ils la toisèrent, narquois, avant de la rejoindre d'un pas tranquille. Le blond tira un poignard de sa botte.

— Enlève ta cape, ta robe et tes bas, ordonna-t-il.

— Pardon ?

— C'est plus simple pour nous que tu le fasses seule, chuchota le second à son oreille, mais si tu préfères que nous te tuions d'abord...