La première fois

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Je pousse la porte vitrée de l'établissement, faisant retentir la clochette annonçant la venue de chaque nouveau client. Comment nous nommes-t-on tiens ? L'acceptation de ce genre de liberté individuelle doit bien nous avoir permis de gagner un certain titre autant que les dizaines de synonymes scotchés sur la tête des gens qui vendent leur corps.

Je fais signe au type qui semble surveiller l'entrée et vais m'asseoir sur l'un des sièges miteux de la salle d'attente. Cela doit à peu près se passer comme dans les bars à putains lambda. Enfin, j'ai l'impression d'être sexiste à considérer la prostitution féminine de "lambda". Je vais me garder d'utiliser ce qualificatif à l'avenir.

Des tas d'affiches dévoilant maints et maints corps d'hommes sublimés dans des positions suggestives bombardent mon œil observateur. Je croise les bras et m'affale sur ma place, toisant chacun de ces visages, de ces mimiques tantôt espiègles et sulfureuses, tantôt craintives et angéliques. Soumises. Un soupire traverse ma gorge et je me demande, alors que je passe une main dans mes cheveux décolorés: Pourquoi suis-je réellement venu dans un endroit aussi sale, probablement tenu par la mafia et qui sent la débauche. Qui pue la débauche ? J'ai envie de rencontrer quelqu'un. Voilà pourquoi je suis ici à me peler le cul sur cette chaise bancale et sous le regard figé  d'une trentaine de jeunes hommes sous payés, et contraints d'avoir recours à ce genre de business pour survivre dans cette marre que les gros poissons assèchent. J'intègre en partie ce beau monde fait de lumière et d'ascension sans limites alors je sais de quoi je parle.

L'homme sur qui je suis tombé en entrant dans ce qui ressemble à l'antre d'un enfer impitoyable sans nom me rejoint dans la pièce après dix minutes d'attente interminable. Il est muni d'un billet fluorescent qu'il me tend sèchement et s'adresse à moi. Pas accueillant pour un sous celui-là.

- Chambre 32, il ne reste plus qu'un garçon de libre ce soir alors vous vous contenterez de la surprise. C'est 100 000 won de l'heure ici, à régler une fois que vous aurez choisi de finir votre affaire.

- C'est pas cher payé dis-donc. Vous vous prenez combien par heure vous ?

Il me regarde d'un air qui n'annonce rien de bon. Un air qui insinue que j'aurais des problèmes si je continue de me donner bonne conscience devant lui.

- Z'êtes venu ici pour tirer un coup comme tout le monde lorsqu'il vient fréquenter un bordel, commença-t-il à me rétorquer. Allez pas me faire croire que vous êtes un putain d'humaniste. Maintenant dégagez, j'ai du boulot.

Les yeux rivés sur le billet rose fluo qui porte le numéro de la chambre ainsi que le les caractères d'un nom, je me dirige tout droit dans un couloir à peine éclairé d'où se dégage une odeur entre celle du renfermé et du vomis. Les relents semblent s'éteindre dès que j'arrive au niveau du troisième. Je suis la numérotation croissante des portes de chambre, écoutant le bruit sourd que mes pas font sur la moquette. Ignorant les gémissements excessifs hantant mon passage. Une fois devant la chambre que l'on m'a attribué, je prends le temps de souffler en prévision du premier contact visuel que je vais avoir d'une minute à l'autre avec un inconnu. Celui-ci intimement persuadé que je suis ici pour soulager tout mon refoulement de la journée avec son corps comme l'on essuie ses mains sur un torchon chaud et humide après une mauvaise bouffe chinoise. Je suis pourtant venu dans une toute autre optique, du moins, je le crois.

Je presse la poignée et ouvre avec douceur la porte, investissant contre toute attente une pièce vide. Un lit fait m'y attend illuminé d'une lumière jaunâtre et tamisée. Je repose mes yeux sur le bout de papier usé que je tiens entre deux doigts, lisant de nouveau le nom du prostitué avec qui je suis censé m'entretenir, pour peu que cela soit son vrai nom.

- Kim Seok Jin ? ( Jinnie)

Tout en décrivant le lieu triste à en mourir, je me sépare de ma veste que je jette négligemment sur un fauteuil et m'en vais trouver place assise sur les draps écrus du lit. Je caresse le linge, notant tâches et autres empruntes de salissures à la provenance douteuse. Un maniaque de la propreté se tirerait une balle rien qu'en passant la porte de ce bordel. Peut-être le jeune homme que je vais rencontrer en aura-t-il tout juste fini avec un autre client. Peut-être est-il vilain ou très beau. Je n'en sais rien et tant que je ne l'ai pas vu je ne peux fixer mes pensées. C'est la première fois que je viens à ce genre d'adresse dans un autre but que pour baiser.

Les chiens (n.jin)Where stories live. Discover now