I - Vetr

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Le garçon trébucha sur une pierre. Son crâne faillit se briser contre la roche.

La gigantesque bête se leva sur ses pattes arrière, menaçant le jeune fou en train de ramper dos vers la sortie – au garrot, l'ours surpassait par deux fois la taille du malheureux.

— Soren !

Un écho aigu retentit. L'amas de muscles retomba, lacéra sa proie.

L'obscurité empêchait les deux éphèbes de prévoir les puissantes frappes de l'animal. Des rais de lumière s'évanouissaient dans la tanière, seule fenêtre pour distinguer la bête et leurs propres corps des ténèbres. Une cascade tambourinait contre la roche, à l'entrée de la grotte, loin derrière les deux frères d'armes en territoire ennemi.

Lorsque les crocs de la créature s'approchèrent de la tête de son ami d'enfance, les tripes d'Esben lui commandèrent d'agir. Alors il grogna, bondit sur le tas de muscles, étreignit sa gorge et y planta ses dents, à l'instar de l'animal qu'il devait devenir.

Soren s'extirpa de l'emprise du poids lourd. Titubant de faiblesse et de panique, malgré la douleur de son bras gauche mutilé, il asséna un coup sur le museau humide de l'animal.

Un long grondement plaintif résonna dans les profondeurs de la caverne.

Le blessé s'acharna sans relâche sur ce point faible découvert. L'ours chuta en arrière, hurla de rage ; Esben, encore agrippé au cou de la bête, dut lâcher prise malgré lui.

Un bruit sourd résonna. Celui d'os brisés.

La bête gémit. Rien n'avait amortit sa chute, pas même son cuir robuste ; quant à l'enfant, sa vivacité l'avait sauvé d'une mort certaine grâce à une roulade salvatrice.

Mais les deux garçons n'eurent aucun répit.

Des perles rouges éclaboussèrent les environs. Seul le barbotement des poings au contact du sang se dressait contre le calme. Les attaques combinées des deux chasseurs pulvérisèrent la gueule de l'animal, pris au piège telle une tortue retournée.

Puis ce fut terminé.

Leurs regards se croisèrent. Ils s'enlacèrent. Soren serra sa mâchoire lorsque sa plaie à vif s'appuya contre le torse dénudé de son frère. Mais il ne fit rien pour déranger ce moment sacré. Le trophée valait davantage qu'une douleur passagère. Exprimer leur joie aurait été superflu. Les mots demeuraient inutiles, la cascade comblant leur mutisme.

Et l'ours inerte, lui, répandait son sang aux pieds des deux garçons.

Soren saisit un silex brisé ; son frère de sang le lui enleva aussitôt des mains. Avec une meilleure carrure et deux épaules saines, il épargnait un mal futile à son ami.

Esben enfonça alors la pierre dans la cage thoracique de l'animal. Non sans mal, il ouvrit en deux le torse et y plongea sa main. La tiédeur du sang lui parut savoureuse, au milieu des froides entrailles de la caverne. Il se fraya un chemin à travers la chair et les os, les organes et les côtes. Un sourire illumina son visage lorsqu'il brandit, victorieux, le cœur de l'ours.

Jamais les deux n'avaient vu pareil spectacle.

Esben ensanglanta ses lèvres desséchées. Selon leur croyance, la force vitale résidait dans cette viande ; et les jeunes guerriers allaient l'absorber en la mangeant. Le chasseur goûta le puits de pouvoir puis l'offrit à son « petit frère », qui en arracha un morceau avec les dents. Puis le récupéra aussitôt, continuant son repas. Et le confia de nouveau à Soren, rebuté.

Encore, et encore.

Les deux enfants ne pouvaient gâcher une telle force vitale. Même lorsque la faim les abandonna, ils continuèrent. Mâchèrent. Avalèrent. Jusqu'au dernier petit bout...

BerserkRWhere stories live. Discover now