Chapitre 2 - Anderson Corporation

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Je remercie « Elsa » – c'est ce qu'indique son badge à elle – et attache le mien. Les ascenseurs se trouvent à l'autre bout du hall. Il y en a cinq. Un type de la sécurité vérifie mon identité avant de presser le bouton d'appel. Une cabine s'ouvre devant moi.

L'intérieur est à l'image du reste : vaste et soigné. On pourrait faire tenir trente personnes, là-dedans. Les boutons des étages sont dorés, en relief. J'appuie sur le 45. Les portes sont sur le point de se refermer lorsqu'une jeune femme blonde et élancée se faufile à mon côté. Elle est vêtue d'un très joli tailleur bleu nuit assorti à ses yeux et, avec ses talons, elle doit approcher le mètre quatre-vingts. Constatant que nous nous rendons au même étage, elle fixe le badge accroché à la poche de mon chemisier.

– Tu postules aussi auprès de monsieur Anderson ?

– On dirait bien.

– Moi, c'est Melody, annonce-t‑elle, la main tendue.C'est la première fois ?

– Première fois que quoi ?

– Que tu postules ? Il ne me semble pas t'avoir déjà vue ici, mais peut-être que nous n'étions pas sur les mêmes créneaux. Comment t'appelles-tu ?

– Emma, réponds-je doucement. (Je lui décoche unregard en coin. Elle ne doit pas avoir plus de vingt-cinqans.) Ça fait combien de fois que tu te présentes ?

– C'est la quatrième, aujourd'hui. En deux ans, précise melody avec un sourire.

Je reste silencieuse. Il change si souvent que ça d'assistants? Est-ce qu'ils partent d'eux-mêmes ou est-ce qu'il les licencie ?

– Sais-tu pourquoi le turn-over est si... important ?



La question m'a échappé, et je regrette aussitôt de l'avoir posée : pas sûre du tout de vouloir connaître la réponse.

– Il a la réputation d'être un patron assez dur. Mon avis personnel, c'est qu'il n'a pas encore trouvé quelqu'un à la hauteur.

L'ascenseur nous libère, et je sens le stress revenir. Je prends une grande inspiration et suis Melody jusqu'à un nouveau comptoir, un peu plus petit que celui du hall. Un homme d'une trentaine d'années, chemise blanche serrée, foulard autour du cou, se lève à notre approche.

– Melody ! Eh bien, je constate que tu ne perds pas espoir !

– Salut, Marcus. Cette fois, c'est la bonne. Tu verras.

Ce dernier ne peut réprimer un petit rire. De l'autre côté du comptoir, une jeune métisse me sourit chaleureusement.

Il enregistre nos noms sur l'ordinateur et nous conduit à un petit salon. Les fauteuils en cuir noir contrastent avec la moquette d'un blanc immaculé. Les autres candidates nous observent. Elles sont presque toutes blondes et semblent sorties d'un magazine de mode. Je ne me sens pas à ma place – avec mes talons, je ne dépasse pas le mètre soixante dix. Au mur, une série de tableaux contemporains, tous gris,avec du carmin sombre comme unique touche de couleur.

Je m'assieds, frotte les paumes de mes mains sur ma jupe pour atténuer mon angoisse, en vain. Les candidates défilent. Plus le temps passe, moins je me sens à mon aise. Je sors un livre de mon sac mais peine à me concentrer. Je ne peux m'empêcher de regarder les autres. Clairement, elles ont été sélectionnées sur des critères physiques bien particuliers. Et il est évident que j'ai bénéficié d'un passe-droit.

Melody me lance un regard ambigu et reprend sa conversation avec une autre candidate. J'ai l'impression que mes oreilles bourdonnent. Une tonne de questions se bousculent dans ma tête. M. Anderson flirte-t‑il avec ses assistantes? À quel point suis-je prête à ressembler à ces filles pour obtenir ce job ?

Je n'ai rien à faire ici. Sans même m'en rendre compte, je me lève. Je dois partir, mettre un terme à cette mascarade :ce poste n'est pas fait pour moi ; je ne suis pas faite pour lui.

– Mademoiselle Reyes ?

Mon cœur s'emballe. Une femme d'une trentaine d'années, vêtue d'un tailleur rouge sombre, m'observe avec sévérité. Ses cheveux sont coiffés en un chignon très tiré, et la monture de ses lunettes est assortie à sa tenue. Machinalement, je porte une main à mes cheveux bruns, que je n'ai même pas pris le soin d'attacher.

– Vous êtes bien mademoiselle Reyes ? insiste-t‑elle,comme si elle était étonnée qu'une personne de mon acabit ait pu être retenue. Je suis madame Cooper. Veuillez me suivre.

Prise de court, je ne peux que lui emboîter le pas. Ellejette un coup d'œil à mes mains.

– Ne soyez pas si nerveuse ; il ne va pas vous manger.

Vient-elle de sous-entendre que M. Anderson fait lui même passer les entretiens ? Rebecca avait évoqué cette éventualité, mais j'avais préféré chasser l'idée de mon esprit. Mme Cooper appuie sur son oreillette.

– Mademoiselle Reyes est ici, monsieur.

Elle m'ouvre la porte et m'invite à entrer, puis referme derrière moi. J'essaie de respirer calmement, priant pour que Becky ne choisisse pas cet instant pour se manifester.

– Bonjour, mademoiselle Reyes. Je vous en prie, approchez.

Le bureau est immense – aussi grand, sans doute, que mon propre appartement. M. Anderson me tourne le dos et admire la vue sur New York. Il est terriblement impressionnant, et j'ignore comment je vais pouvoir aligner deux mots sans bégayer. Timidement, je m'avance. Sur ma gauche, une table basse et un assortiment de fauteuils.

– Merci de m'accorder cet entretien, dis-je d'une voix que j'espère assurée.

Lentement, il se retourne. Ses yeux d'un bleu intense me rappellent quelque chose – une image floue se superpose à son visage parfait. D'où me vient cette impression de déjà-vu ? Sourcils froncés, je fouille ma mémoire lorsque, soudain, tout me revient d'un coup.

Le Pacte d'EmmaWhere stories live. Discover now