XXX - Les variations du temps

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Hôtel Langlois - Paris
Vendredi, 11 avril 1884

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A mon lever, Adelin avait déjà quitté la maison. Il avait transmis à Roseline l'enveloppe que j'étais en train de décacheter alors que j'étais assise devant mon petit-déjeuner. Mon cœur se serra en lisant ces mots.

« Chère Louise,

J'ai été très affecté de vous savoir souffrante hier. J'ai peur d'avoir été responsable de vos maux par mes élans inconsidérés à votre encontre. Les épreuves auxquelles nous devons faire face depuis l'absence de mon frère nous ont probablement emmenés sur cette voie tortueuse, qui nous conduit dans une direction qui ne peut être la nôtre ma chère Belle-sœur.

Je ne peux entacher de honte la promesse faite à Anatole, même si mon attachement à vous est sincère et profond. Je vous prie d'excuser mes égarements de la veille. Vous êtes une amie bien trop précieuse à mes yeux, qui ne peut souffrir des tourments que je vous imposerai en laissant nos émotions simplement nous guider. Il est des histoires qui devront à jamais rester inachevées, il en va de notre devoir familial.

Votre nature honorable et bienveillante me fait espérer que vous comprendrez mes motivations. Vous compromettre de la sorte ne donnerait que moins de poids aux malversations de mon frère dont il devra répondre, soyez-en assurée.

Je pars de ce pas à son entrepôt où je passerai la journée, dans l'espoir de tirer cette histoire au clair et rétablir les lettres de noblesse de nos deux noms. Je suis et resterai votre éternel dévoué.

Sincèrement,
Adelin »

Je relus cette lettre plusieurs fois avant d'en comprendre parfaitement le sens. Je venais de me faire larguer au nom de l'impossible, alors même que notre histoire n'avait pas encore commencé. Je restai interdite de nombreuses minutes, cherchant à savoir comment réagir. Devais-je en être peinée ou soulagée ? Mes sentiments n'étaient pas clairs à ce sujet. Je ressentais comme un vide, le trou béant de quelques choses que l'on vient de vous enlever brusquement, à la fois pesant et libérateur. Pourtant au final une fois ce poids retiré, il ne restait plus que la colère amenuisée par l'amertume, qui habitait cette espace.

Je posai la lettre sur la table et me mis à penser qu'il avait peut-être raison, c'était probablement mieux ainsi, sauf que ...

J'étouffai cette pensée embryonnaire, m'épargnant ainsi une souffrance inutile qui ne servirait en rien les desseins de ma journée. Je m'étais promise que j'irai rue de la Plaine, découvrir le nid douillet de mon mari.

Je me levai et me dirigeai le pas lourd, néanmoins, vers le bureau d'Anatole. J'espérais, munie de la photographie de la seconde femme de mon mari, interroger les commerçants, peut-être que l'un d'entre eux la reconnaitrait et pourrait m'indiquer leur maison.

Je poussai la porte de l'antre de mon mari et m'arrêtai quelques minutes au centre de la pièce, pensive. Cet endroit me fascinait autant qu'il me donnait la chair de poule. J'étais admirative devant les volumes qui se partageaient les rayonnages des bibliothèques mais en même temps l'empreinte malfaisante de mon époux se faisait ressentir dans tous les coins de la pièce. J'avais l'impression qu'à tout moment il pouvait apparaitre pour être cinglant comme à son habitude. Mais c'était impossible, il était à des milliers de kilomètres de cette maison et c'était très bien ainsi.

Je me promenai devant les étagères que je n'avais pas encore eues l'occasion d'examiner, mon accès à ce lieu étant si restreint. Un endroit de cette rangée de livres était étrange, il était complètement hétéroclite. Des livres en néerlandais et en allemand étaient mêlés les uns aux autres sans aucune logique. Evidemment, je ne comprenais pas la tranche des livres mais m'arrêtai sur un nom qui me stupéfia, faisant écho à mes bribes de souvenirs. Constantijn Huygens. Je sortis le livre et en regardai le titre, il s'intitulait « Momenta desultoria », il s'agissait d'un recueil de poésies latines. La coïncidence était trop grande pour ne pas être un indice. Je me souvenais encore de l'appel de Thomas qui me certifiait qu'il avait authentifié un traité de Christian Huygens. A cet instant, j'aurais tant aimé avoir un ordinateur connecté à internet pour faire des recherches sur ce Christian Huygens.

Le pendule de Huygens [Tome 1] : La synchronisation des balanciersOpowieści tętniące życiem. Odkryj je teraz