Faerie : Rêver de liberté

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Sous l'effet de la peur, les ongles pointus d'Arianna me lacèrent la peau. Elle s'agrippe à moi comme si j'étais son dernier espoir d'échapper à ce qui l'attend. D'un pas lent, nous marchons vers une caisse en bois dont les dimensions ont été adaptées à sa silhouette. Jane nous suit sans dire un mot, la tête baissée. Au loin, la voix du capitaine de navigation nous rappelle que le temps presse. Ma main se glisse dans le dos de ma camarade et la pousse vers sa nouvelle prison.

Une fois installée à l'intérieur, tous ses membres se mettent à trembler. N'importe qui deviendrait claustrophobe dans cette boite. Ses yeux remplis de larmes me fixent à la recherche d'un quelconque soutien. Impassible, je maintiens le regard.

- Tiens le coup. C'est ta seule chance.

Jane me fusille du regard. Si elle s'attend à ce que je lui délivre un discours plein d'espoir, elle peut toujours attendre. Nous savons toutes les trois ce qui va arriver, et nous savons que cela va très mal se passer. C'est inévitable. C'est ce pourquoi nous avons été créés.

En théorie, il appartient à chacun de décider ce qu'il fera de sa vie. En pratique, notre culture, notre éducation ou encore nos capacités nous offrent des possibilités limitées qui ne sont pas toujours en accord avec nos désirs. Finalement, nous nous rendons bien vite compte que tout ce que nous faisons fonctionnent selon des règles que nous n'avons pas choisies. Pourtant, nous nous bernons nous-mêmes, persuadé d'être seul maître de notre destin.

C'est pourquoi je m'estime heureuse d'être née dans un endroit où le doux rêve du « libre-arbitre » n'est pas envisageable. Avant même ma naissance, mon futur était écrit. Chacun de mes gènes a été choisi avec la plus grande attention dans le but de me rendre parfaite pour ce que l'on attend de moi. Je suis née dans l'unique objectif de servir autrui.

Dans quelques jours, je serais moi aussi enfermé dans une de ses boites, direction la demeure de ceux qui m'achèteront pour que je nourrisse leur marmot et que je lave leur beaux habits somptueux en trimant pour avoir ne serait qu'un bout de pain sec et de l'eau et un bout de tissu pour me protéger du froid. Tout cela sans jamais me plaindre et en étant reconnaissante envers mes maîtres d'avoir donné un sens à ma misérable vie.

Néanmoins, pour moi comme pour Jane, nous avons encore quelques jours à vivre au refuge avec tous les autres. Alors que pour Arianna, c'est déjà fini. Il est temps pour cette Indienne de deux ans notre cadette de rejoindre ceux qui l'ont « commandée ». Elle part pour l'Asie, chez une riche famille d'entrepreneur pour servir de comptable au fils ainé qui vient de prendre les commandes de l'affaire. Ils ont dû payer très cher pour l'obtenir, cette petite est talentueuse et surtout très docile. Elle vaut beaucoup d'argent.

Jane passe sa main sur la joue de notre camarade pour la rassurer.

- Tout ira bien, chuchote-t-elle. Ne t'inquiète pas.

Nous attrapons toutes les deux le couvercle de la caisse et la refermons à l'aide d'un pistolet à clou. Les trous sur le côté laissent passer l'air et les sanglots de notre amie. Nous murmurons un « au revoir » triste et tournons les talons.

- Le jour où je partirais, dis-je, n'essaye pas de me rassurer s'il te plaît.

- Tu es égoïste Faerie. On a besoin les uns des autres.

- Je ne vois pas ce que ça change.

Jane préfère ne pas répondre et nous continuons notre route en silence jusqu'au Refuge. Malgré notre amitié, nous ne sommes pas du tout sur la même longueur d'onde. Ici, nous n'avons que deux solutions : nous battre pour nos illusions ou pour notre survie. Chacun doit faire son choix, même si au fond, ça ne change rien.

Je me sens privilégiée de faire partie de ceux qui gardent la tête froide. Mais quelques parts, je ne supporte pas l'idée de savoir que mon caractère terre-à-terre a été prédéfini par les scientifiques du Refuge. C'est à se demander s'il y a une chose dans ce que je pense, ce que je dis ou ce que je fais qui n'échappe pas totalement à mon contrôle.

Nous rejoignons le 4x4 de la directrice du Refuge, le Docteur Maria Galei, une des premières scientifiques à avoir osé concrétiser ce projet de manipulation génétique sur les humains après le retour de la monarchie en 2071. Elle s'assure elle-même que sa « marchandise » parte dans de bonnes conditions.

Jane monte à l'arrière et moi à l'avant. La directrice nous propose à boire et à manger avant de démarrer le véhicule. C'est parti pour dix-huit heures de route jusqu'à El Fasher, en plein désert du Sahara. Sur la banquette arrière, Jane s'est endormie en cinq minutes et je m'apprête à l'imiter quand Maria se tourne vers moi :

- J'ai une bonne nouvelle pour toi.

- Je vous écoute.

- Tu as été acheté, déclare-t-elle.

J'aimerais être en colère, me défendre, lui dire tout le mal que je pense d'elle et de son commerce, mais je reste stoïque.

- D'accord.

- Tu ne veux pas savoir où tu vas vivre ?

- Je finirai bien par le savoir...

Elle sourit. Les yeux toujours fixés sur la route, elle continue :

- Tu pars dans trois jours. Ils voulaient venir te chercher immédiatement, mais je me suis dit que tu voudrais du temps pour dire au revoir aux autres.

- Merci.

- C'est des bonnes personnes, tu verras. Tu ne t'en sors pas trop mal.

Si je la laisse parler, je devrais bientôt la remercier. Elle qui ne voit en moi qu'un vulgaire objet, une marchandise. Mais malgré cela, elle a toujours eu un côté maternel. Encore plus avec moi qu'avec n'importe quels autres habitants du Refuge. Jane dit que je devrais en profiter pour en savoir un peu plus sur ce qu'il se passe et pour améliorer notre quotidien. Mais elle se trompe sur ce que je suis capable de faire. Je ne suis pas une héroïne, je n'ai pas le courage et la force suffisante pour l'être. Du haut de mes dix-sept ans, je n'ai fait que subir. C'est la seule chose que je sais faire. De toute manière, on ne peut pas faire autrement, nous sommes programmés pour être de gentils toutous obéissants.

Et pourtant, le soir, seule sur ma couchette, je me surprends à rêver de liberté.

Faerie, Fleur du Feu [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant