Prologue: A la dérive

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"Encré en mes pensées obscure, je n'atteindrai pas le bord, c'est sûr. Alors je plonge, encore. Brise le miroir, la surface de l'eau, stagnante, noire. Six pieds sous l'eau la lumière jamais ne rentre."

Auteur inconnu.





A moitié endormi, à moitié mort, bercé par le mouvement mécanique des vagues, je me rappelle seulement de cette étendue infinie, cet horizon lointain, inatteignable. Le bleu sombre des eaux se découpant sur le gris terne d'un ciel orageux.

Depuis combien de temps étais-je ainsi livré à la dérive, en proie à la volonté des mers sans noms? Mes membres étaient presque tous endoloris. Presque impossible de faire le moindre mouvement.

Allais-je m'en sortir? Quelle importance...

La mort ne m'importait guère. Curieux, j'étais pourtant jeune. Au contraire, me fondre au sein des océans, rejoindre le plancton, mes os nus plongeant au fin fond des abysses, gobés au hasard par quelques mammifères marins. Le ventre de la mer. Cela m'apparaissait comme une aubaine. Une suite logique. Un destin, peut-être.

Comment avais-je pu survivre jusque là? Je fermai les yeux. La nausée me prenait du fond de l'estomac. Je m'en fichais. Eaux maudites. Quel âge avais-je? sept ou huit lunes, je ne sais plus.

Avec grand effort, et sans grand espoir, je tentai de bouger ma main droite. Je sentis un amas de planches de bois pourries qui me faisaient vraisemblablement office de radeau.

J'inspirai un grand coup, l'air marin, empli de sel, pénétra violemment dans mes poumon, brûlant ma cage thoracique. Je toussai. Du sang. Quelle étrange sensation. Jamais je ne m'étais senti aussi vivant qu'à l'orée de la mort.

Où suis-je? Qu'importe.

Qui suis-je? Personne.

Il me fallut un grand effort pour effectuer une torsion de la tête. Rien à distinguer non plus de ce côté des eaux. Le néant d'une mer sans fond, parfaitement creuse. J'aperçus mon bras droit, ensanglanté, parsemé de coupures profondes et d'hématomes dont je ne pouvais me rappeler l'origine. Le rouge qui s'écoulait de mes plaies se mêlait à l'azur du léger ressac. Un joli tableau. Je sentis alors la piqûre aiguë du sel porté par les courts va-et-viens des vagues sur mes blessures. Une sensation plutôt agréable, pensais-je. La douleur me faisait oublier la fatigue. La mort était sans doute plus douce encore. Je fermai les yeux une fois de plus afin d'apprécier un peu plus ces derniers moments d'humanité. La douleur.

Une mouette passa au dessus de ma tête, croassa, puis repartit comme si de rien était. "Je suis pourtant en train de mourir". Mon sort était égal au règne des flots.

"Myrra. Mère des Océans, aide moi."

Les paupières clauses, je m'abandonnai à mon sort.

Puis ce fut les ténèbres.

Les Tempêtes d'HurleventWhere stories live. Discover now