Le moment déclencheur

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Tout a commencé quand j'avais cinq ans. J'étais une vraie petite boule, en ce temps là. Bon, j'exagère un peu mais disons que j'avais assez de graisse et de muscles.

Ce jour là, j'étais à l'école, travaillant et rigolant avec mes amis comme n'importe quelle petite fille de cinq ans, quand ma mère est venue me chercher beaucoup plus tôt que prévu. Je me souviens de la tristesse dans ses yeux et la façon dont le visage de mon professeur s'est assombri en parlant à ma mère. Elle s'est tournée vers moi et m'a dit:

-Eloïse, tu peux partir avec ta maman. Tu dis au revoir à tes amis?

J'ai fait ce qu'elle m'avait demandée puis suis partie avec ma mère. Je me demandais ce qu'il se passait jusqu'à ce que je remarque que nous nous dirigions vers l'hôpital. J'ai tout de suite compris.

Mon grand-père était hospitalisé à cause d'un cancer des poumons et les médecins faisaient tout en leur pouvoir pour le soigner. Mais pour le moment, rien n'avait marché, même pas la chimiothérapie. On continuait à espérer et prier pour qu'il s'en sorte mais on savait, au fond de nous, qu'il n'allait pas s'en sortir.

J'aimais mon grand-père plus que tout et ça me faisait mal de le voir dans cet état. Je savais bien que, normalement, nous allions le voir en fin de journée, quand tout le monde avait fini de travailler, alors je savais que quelque chose n'allait pas puisque ma mère était venue me chercher pendant les cours et pendant qu'elle était sensée travailler. Et j'avais vu juste.

Quand nous sommes entrés dans la chambre de mon grand-père, il avait l'air plus faible que jamais. J'ai couru vers lui et lui ai tenu la main, la mine grave. Il m'a sourit courageusement, ses yeux verts perdants leur lumière lentement, et m'a dit:

-Tu sais mon lapin, à la fin, tout le monde fini par mourir, tôt ou tard. Personne ne peut empêcher ça et il faut l'accepter. Il faut qu'on reste forts malgré ça, souviens-toi.

J'ai hoché la tête, les larmes aux yeux. J'étais peut-être jeune mais j'étais déjà très mature pour mon âge et j'avais compris qu'il m'expliquait que la fin était arrivée pour lui. Il me demandait de rester forte et courageuse pour lui. Je lui ai souri courageusement et me suis couchée à côté de lui, une dernière fois.

Il a parlé au reste de la famille qui était arrivée mais je n'ai pas écouté, trop occupée à respirer l'odeur de mon grand-père et à me blottir contre lui. Je voulais garder le souvenir de son odeur que lui seul portait. L'odeur qui m'a accueillie dans ce monde et qui m'a portée aux bras de ma mère. L'odeur avec laquelle j'apprenais à marcher, parler et lire. L'odeur qui m'avait accompagnée pendant que je grandissais. Je voulais me souvenir de la douceur de sa peau qui à été la première à me toucher, à ma naissance. La peau qui m'a tenue quand j'apprenais mes premiers pas. La peau qui me tenait contre lui quand j'étais triste. Je voulais me souvenir de sa voix qui m'a dit "bienvenue" quand je suis arrivée dans ce monde. La voix qui m'a encouragée pour mes premiers pas. La voix qui me consolait quand j'étais triste. Je voulais me souvenir de lui.

Quand tout le monde avait fini de parler, j'ai commencé à chanter pour mon grand-père. Mon grand-père adorait m'écouter chanter. Il me disait toujours que, un jour, je deviendrais une grande chanteuse. Je me souviens d'avoir chanter "Hallelujah" pour lui jusqu'à ce que l'électro-cardioscope ne fasse plus qu'un bip long et strident qui ne s'arrêtait plus.

C'est à ce moment là que j'ai pleuré.

C'est à ce moment là que j'ai compris que mon grand-père ne me serrerait plus jamais dans ses bras. J'ai compris qu'il ne me dirait plus jamais "je t'aime". J'ai compris qu'il ne serait plus jamais là pour m'encourager. J'ai compris qu'il ne serait plus jamais là pour me consoler. J'ai compris qu'il ne serait plus jamais là pour moi.

Je me souviens que mon père nous a prises, ma mère et moi, dans ses bras et nous a consolées du mieux qu'il pouvait.

Le reste n'est plus qu'un souvenir flou.

Ce n'est pas ça qui a commencé mon anorexie mais c'est ce qui a declenché ma dépression. Et c'est ma dépression qui a déclenché mon anorexie.

Anorexic fighter Où les histoires vivent. Découvrez maintenant