J'admire l'eau qui s'étend tout autour de moi. Parce qu'elle est belle et infinie, mais peut-être aussi parce qu'elle m'est inconnue. Quand je la vois, comme ça, maintenant, je me demande où j'irais si j'avais à choisir un chemin. Qu'y-a-t-il à ma droite ? et à ma gauche ? devant moi ? dans mon dos ?

Un air frais et humide me caresse la joue. Je n'entends que le souffle du vent venant de tous les pays, de tous les recoins du monde. Ce vent qui va et vient et qui ne meurt jamais.

- Mademoiselle il est bien tôt pour se présenter ! s'exclame la voix d'un homme derrière l'éblouissement du soleil levant.

Je me décale légèrement afin de l'apercevoir. Ses mains et son visage sont pleins de suie noire. De bon matin ! Il a l'air d'attendre une réponse, mais laquelle ?

- J'étais réveillée alors je me suis dit que je pourrais aller prendre l'air.

- Justement ! Vous avez mal dormie ? C'était pas bien ?

- Si, si ! Cela n'a vraiment rien à voir ! Je suis matinale c'est tout...

Je n'ai pas l'habitude de mentir et ça se voit à l'expression du matelot. Il me scrute sans trop savoir s'il doit me laisser tranquille ou me proposer d'aller me plaindre au capitaine. Finalement il décide de s'éloigner en m'adressant un bref signe de la main. Je m'en contente et vérifie que personne ne remarque mon malaise ; heureusement tout le monde est plongé dans sa tâche quotidienne et nul ne prête attention à moi. Peut-être est-ce parce qu'on leur en a intimé l'ordre, ou peut-être qu'ils en ont juste vu des mûres et des pas mûres dans leur vie, du moins assez pour ne pas être déstabilisé par une gente dame.

Ces hommes-là vénèrent la mer, et pour moi la mer est une femme libre, pure, éternelle et puissante, dotée d'une beauté inaltérable.

Je lance un dernier coup d'œil vers le matin, le soleil, l'horizon, puis je distingue à l'avant du navire une silhouette qui n'est autre que ma bonne étoile, ma lune, ma nuit, ma noirceur. Il se tient debout et fixe les flots doux et réguliers. Je veux y aller, je veux le rejoindre. Tout me pousse à accourir vers lui, et pourtant je reste figée sur place. J'entrouvre la bouche, comme pour aspirer les vents lointains, le souffle des vagues, l'air empli d'amour et la vie de celui pour qui mon cœur qui battait jusqu'alors semble s'être arrêté. Je manque assurément d'oxygène or cela parait tout-à-fait dérisoire.

Peut-être est-ce trop fort, trop fort pour moi. Peut-être que cette passion destructrice me consumerait dès les premiers rapprochements. J'ai peur que les baisers soient trop brûlants, que la chaleur qui émane de lui m'asphyxie. Je trépide. La fièvre monte, j'ai la tête qui tourne, j'y vois flou, je suis bouillante.

J'ignore ce qu'il adviendra si les choses vont plus loin, si son regard se pose sur mes lèvres, si nos visages se rapprochent. Je me demande s'il est possible d'exploser. Littéralement. Que tout disjoncte. Que mon esprit s'éteigne et que mon corps s'écroule comme une poupée de chiffon que l'on aurait lâché, pensant qu'elle pourrait tenir toute seule. Je suis terrifiée à l'idée de l'embrasser, de l'aimer et que tout perde sa rationalité.

Enfin, il tourne la tête vers moi. Il a senti ma présence. Il sait que je suis là depuis un moment, que je l'observe, incapable de prononcer le moindre mot ou de bouger le petit doigt. Peut-être sait-il aussi que je l'aime, ou s'il en doute encore, je l'en persuaderai moi-même. Parce que rien ni personne ne m'empêchera de l'aimer. Parce que même dans un autre monde je ne penserai qu'à lui, parce que même dans une vie future je ne l'aurai pas oublié, parce que même s'il disparaissait, il persisterait dans mes rêves. Personne ne privera notre amour d'existence. Et rien ne pourra l'effacer. Car nos âmes portent les empreintes de ceux que nous avons aimé, et, bien qu'invisibles ou inaccessibles, celles-ci ne meurent jamais.

Je finis par le rejoindre, mais nous gardons nos distances. Je pose mes mains sur le rebord en bois, seul barrière entre le vide et moi. Le soleil se lève derrière nous, tandis qu'à l'horizon la nuit s'attarde dans le ciel.

- Yanis...

- Oui ?

- Est-ce que tu crois que mes parents vont bien ? Enfin, que tout le monde va bien ?

- Je sais à quoi tu penses. Moi aussi il m'arrive de m'inquiéter sur le sort des gens, me confie-t-il, ce qu'ils deviennent, ce qu'il se passe sur les autres continents... Mais puisque nous n'avons pas la réponse, le mieux à faire est d'espérer que tout va bien, non ?

J'esquisse un sourire. J'aimerais tellement être convaincue que les choses sont si simples. Que l'on n'a qu'à prier et continuer à vivre comme si de rien était, puisque de toute façon on n'a aucun pouvoir...

- Mais le meilleur moyen pour qu'ils aillent bien, c'est que toi tu sois heureuse. C'est vrai, s'ils savaient que tu étais en train de sourire en ce moment-même, tes parents seraient contents pour toi. Théo aussi.

- Tu crois ? je demande, désireuse qu'il m'en dise plus.

- Souhaiter le bonheur des gens est une bien belle manière d'aimer ; et leur bonheur passe par le tien. Alors tâche de rire dès que possible et de voir et d'entendre tout ce à quoi ta curiosité te mènera. C'est compris ?

Je le regarde dans les yeux et lui offre un merveilleux sourire. Il est plus grand que moi alors je renverse ma tête vers lui. Il n'y a que mon démon et un ciel qui s'éveille. A droite la lune, à gauche le soleil. C'est une belle journée qui s'annonce.

Une journée où je veux aimer.



J'espère que ce chapitre vous a plu ainsi que tous les précédents ! 

N'hésitez pas à me donner avis et conseils ;)

A bientôt...

Ombre & Lumière Tome 2 - La Cascade d'Entre les MondesWhere stories live. Discover now