5. Nouveaux visages.

Começar do início
                                    

Pendant que la jeune pâtre donnait des directions à Martel, elle s'efforçait d'écouter la conversation d'une oreille. Elle prévoyait déjà de rapporter ce qu'avait dit le sorcier à ses compagnons de travail sur ce brouillard qu'il avait mentionné. Elle prévoyait aussi d'ignorer le jeune homme qui talonnait la monture sur laquelle on l'avait juché. Il semblait que Folker voulait la tenir à l'œil, en dépit de ce qu'elle lui avait dit avant leur départ. Elle trouvait cela cocasse qu'il la surveille elle, plutôt que les environs : en de pareilles circonstances, elle était sans doute la chose la moins à craindre.

— Est-il déjà arrivé à des bergers de se perdre ? s'enquit le seigneur, rendu curieux par tous ces phénomènes.

— Pour l'instant, non. Et cette solution demeure la plus fiable que nous ayons trouvée. Malheureusement, la malédiction n'est pas le seul danger que l'on trouve dans la lande : les chats pampadiens et les haut-corbeaux ont parfois trouvés nos égarés avant nous. Certains ont peur des loups mais... il y a des bêtes tout aussi féroce qui se jetteraient sur le premier humain esseulé. Mais je peux aussi vous dire que nous avons de la chance que tous les égarés ne tombent pas sur la Frontière, pas après l'incident d'il y a soixante ans.

— On dirait bien qu'il découle d'elle, fit soudain le sorcier. Le brouillard.

Si les Hekars faisaient mine de ne pas écouter un instant auparavant, certains pivotèrent soudain la tête. Une fois encore sorti de ses pensées par les regards appuyés qui convergeaient vers lui, le lucanien s'expliqua :

« Si vos gens se perdent dans la lande, il est fort probable que ce soit à cause de la Frontière.

— Que voulez-vous dire ? demanda Osbern, méfiant.

— Je n'en suis pas tout à fait certain mais il se pourrait que la Frontière ait une influence sur les terres alentour. Savez-vous depuis quand le sort d'égarement subiste ?

— Si j'en crois nos anciens, il était déjà là lorsqu'ils étaient enfants. Après, ils ne sont plus très sûrs, répondit le Chef, qui eut l'air soudain irrité. Et – sauf le respect de notre Roi – c'est étrange qu'une personne telle que vous ne soit pas venu inspecter les lieux avant aujourd'hui. Le cas de notre village aurait dû attirer votre attention il y a bien longtemps.

Le sorcier eut l'air mal à l'aise et choisit d'esquiver cette remarque.

— Si vous voulez, il existe de puissants sortilèges capables de durer indéfiniment. Cependant, la nature de ces sortilèges peut évoluer avec le temps – comme le lait lorsqu'il caille, par exemple – et donc, les effets de ces sortilèges aussi peuvent changer. Ils peuvent rester efficaces malgré tout : nous en avons la preuve ici-même, dans cette plaine. Le sort d'égarement est sans doute un effet du vieillesse de la Frontière.

— Qu'est-ce qui baragouine, lui ? Une sorcellerie qui vieillit... t'y crois, toi ? maugréa Dirk en rapprochant sa monture de celle de Martel.

Elke observa la réaction de ce dernier : il ne sourcilla même pas. Il avait ramassé une herbe comestible sur le passage et la mâchonnait d'un air profondément indifférent.

« En tout cas, i'me dit rien ce sorcier, ajouta le guerrier grincheux. I'm'a l'air trop jeune pour le boulot, en plus.

— Voilà ce que je pense, poursuivit le lucanien. Si tel est le cas, alors c'est malheureux mais je ne peux rien faire pour rendre à votre plaine son visage d'antan. Le sort d'égarement ne disparaîtra pas, à moins que la Frontière ne tombe elle aussi. Or, elle nous est absolument nécessaire, vous le savez mieux que moi. Ce que je crains, c'est qu'il ait une autre cause et j'espère sincèrement me tromper lorsque je vous dis cela...

La Légende de Doigts GelésOnde histórias criam vida. Descubra agora