CHAPITRE 6 L'ÎLE AU TRESOR

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– Bien volontiers, Livesey, répliqua le chevalier ; maisHawkins a mérité mieux que du pâté froid.

En conséquence, un copieux ragoût de pigeon me fut servi sur unepetite table, et je mangeai avec appétit, car j’avais une faim deloup. M. Dance, comblé de nouvelles félicitations, se retiraenfin.

– Et maintenant, chevalier… dit le docteur.

– Et maintenant, Livesey… dit le chevalier, juste en mêmetemps.

– Chacun son tour ! pas tous à la fois ! plaisanta ledocteur Livesey. Vous avez entendu parler de ce Flint, jesuppose ?

– Si j’ai entendu parler de lui ! s’exclama le chevalier.Vous osez le demander ! C’était le plus atroce forban qui eûtjamais navigué. Comparé à Flint, Barbe-Bleue n’était qu’un enfant.Les Espagnols avaient de lui une peur si excessive que, je vous ledéclare, monsieur, il m’arrivait parfois d’être fier qu’il fûtanglais. J’ai vu de mes yeux paraître ses huniers, au large del’île Trinité, et le lâche fils d’ivrognesse qui commandait notrenavire s’est enfui… oui, monsieur, s’est enfui et réfugié dansPort-d’Espagne.

– Eh bien, moi aussi j’ai entendu parler de lui, en Angleterre,reprit le docteur. Mais ce n’est pas la question. Dites-moi :possédait-il de l’argent ?

– S’il possédait de l’argent ! Mais n’avez-vous donc pasécouté l’histoire ? Que cherchaient ces canailles, sinon del’argent ? De quoi s’inquiètent-ils, sinon d’argent ?Pourquoi risqueraient-ils leurs peaux infâmes, sinon pour del’argent ?

– C’est ce que nous allons voir, repartit le docteur. Mais vousprenez feu d’une façon déconcertante, et avec vos exclamations, jen’arrive pas à placer un mot. Laissez-moi vous interroger. Enadmettant que j’aie ici dans ma poche un indice capable de nousguider vers le lieu où Flint a enterré son trésor, croyez-vous quece trésor serait considérable ?

– S’il serait considérable, monsieur ! Il le seraittellement que, si nous possédions l’indice dont vous parlez, jenolise un bâtiment dans le port de Bristol, je vous emmène avecHawkins, et j’aurai ce trésor, dût sa recherche me prendre unan.

– Parfait ! Alors donc, si Jim y consent, nous ouvrirons lepaquet.

Et il le déposa devant lui sur la table.


Le paquet était cousu, ce qui força le docteur à prendre dans satrousse ses ciseaux chirurgicaux pour faire sauter les points etdégager son contenu, à savoir : un cahier et un pliscellé.

– Voyons d’abord le cahier, dit le docteur. Celui-ci m’avaitappelé auprès de lui, mon repas terminé, pour me faire participerau plaisir des recherches. Nous nous penchâmes donc, le chevalieret moi, par-dessus son épaule tandis qu’il ouvrait le document. Onne voyait sur sa première page que quelques spécimens d’écriture,comme on en trace la plume à la main, par désœuvrement ou pours’exercer. J’y retrouvai le texte du tatouage : « BillyBones s’en fiche » ; et aussi : « M. W.Bones, premier officier », « Il l’a eu au large de PalmKey », et d’autres bribes, principalement des mots isolés etdépourvus de signification. Je me demandai qui l’avait« eu », et ce qu’il avait « eu ». Un coup depoignard dans le dos, apparemment.

– Cela ne nous apprend pas grand-chose, dit le docteur Livesey,en tournant le feuillet.

Les dix ou douze pages suivantes étaient remplies par unesingulière liste de recettes. Une date figurait à un bout de laligne, et à l’autre bout la mention d’une somme d’argent, commedans tous les livres de comptabilité ; mais entre les deuxmentions il n’y avait, en guise de texte explicatif, que des croix,en nombre variable. Ainsi, le 12 juin 1745, une somme desoixante-dix livres était nettement portée au crédit de quelqu’un,et six croix remplaçaient la désignation du motif. Par endroits unnom de lieu s’y ajoutait, comme : « Au large deCaracas », ou bien une simple citation de latitude etlongitude, par exemple : « 62° 17’ 20″ – 19° 2’40″. »

L'île au tresorWhere stories live. Discover now