Cluedo 2.0

Chapitre 2 - Allie

Danse, jeunes, couples, alcool.
C'est ce qui résume cette soirée. Autour de moi, une foule d'adolescents se déchaîne et je les imite sans conviction. Je fais voler mes longs cheveux blonds au rythme de la musique, souriant à tout le monde et à personne. Mon coeur bat un peu trop vite, et je sens une goutte de sueur perler sur mon front.
Je suis entourée d'une dizaine de personnes qui n'ont d'yeux que pour moi.
Des filles, tout d'abord. Officiellement, elles sont mes amies, et ça fait monter leur réputation à une vitesse folle. Mais je sais très bien qu'au fond, elles ne me supportent pas. Très bien, de toutes façons, c'est réciproque.
Il y a aussi des garçons. Ils papillonnent autour de moi, attendant un baiser qui n'arrivera jamais. Sauf si je décrète soudainement qu'ils sont assez populaires pour que je puisse me montrer en public avec eux.
Mais je n'aime personne d'autre que moi même. J'ai finis par comprendre qu'on est toujours abandonné, quoi qu'on fasse. Que les personnes qui nous disent "je serai toujours là pour toi" s'en vont aussi vite qu'elles sont venues.
Et j'ai tellement souffert, j'ai tellement pleuré pour des personnes qui n'en valaient pas la peine, que maintenant  je ne m'attache plus. Je me suis enfermée dans une carapace, et je n'accorde plus jamais ma confiance.
C'est triste, et égoïste mais c'est comme ça que je fonctionne.
Alors oui, je joue avec tous ces garçons, oui je suis odieuse avec eux, oui je suis considérée comme une pétasse aux yeux des filles, mais si c'est ce qu'il faut pour me protéger, alors je le ferai, sans hésiter une seule seconde.

De toutes façons, je ne force personne. Je ne sais même pas pourquoi je suis autant appréciée. C'est venu tout seul, et j'ai appris à faire avec. Je me suis engagée dans cette aventure sans réfléchir et je n'aurai jamais dû. Du jour au lendemain, tout le collège me connaissait. Et il fallait sans cesse inventer de nouvelles choses pour rester au sommet. Critiquer, faire le buzz, sortir avec deux garçons en même temps. J'ai fait beaucoup de choses dont je ne suis pas très fière...
Mais ce jeu me plaisait tellement que j'ai fait tous les sacrifices nécessaires. Est-ce-que ça valait le coup au final ? Bien sur que non. Mais c'est trop tard maintenant. Je suis prise dans cette spirale infernale, qui me détruit à l'intérieur. J'ai cette image qui me colle à la peau sans que je puisse m'en défaire. C'est un trou sans fin, et depuis quelques mois je suis en chute libre.

Mes parents m'ont souvent avoué qu'ils ne me reconnaissaient pas. Mes professeurs ont décrété que j'étais un cas désespéré et ont pris plusieurs rendez-vous avec mes parents : sans succès. J'ai perdu toutes mes anciennes amies, si calmes et douces. Je les ai abandonnées pour goûter au succès, à la popularité.
Je me souviens de ce sentiment de liberté qui ne me quittait plus. Et je crois que c'était ça avant tout qui me plaisait : avoir le sentiment d'être libre, que personne ne peut te contrôler. Être le seul maître à bord.
Mais au fur et à mesure tout ça s'est évaporé, puisque la célébrité est éphémère. Comme on dit, la roue tourne. Et au fond de moi je suis basse, bien basse.

Fatiguée, je m'arrête de danser. Je passe devant des dizaines de couples qui s'embrassent et ont l'air heureux. Je passe devant des groupes d'amis qui se tiennent par le bras, et qui ont l'air de tellement s'aimer...Pourquoi ça ne marche pas pour moi ? Est-ce-que le problème vient de ma personnalité, de ce que je suis ? Ou simplement des autres ?

Je me dirige vers la cuisine. J'ai besoin d'un peu d'alcool pour oublier. C'est ridicule, je ne bois pas. Je n'ai jamais avalé plus de deux gorgées d'alcool, et me voilà à mon troisième verre. Le choc est horrible. Le liquide me brûle tellement la gorge que je le recrache et pose la boisson.
Je regarde rapidement autour de moi, mais il n'y a aucune bouteille d'eau. Je songe un instant à aller dans la salle de bain, histoire de boire un filet d'eau, mais je renonce. Il y a toujours un ou deux couples bourrés qui l'utilisent pendant les soirées, et je ne préfère pas voir ça.